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De Saint-Rémy-de-Provence à Arles, des Alpilles à la Montagnette, une autre Provence… Épisode 2

Eygalières et la chapelle Sainte-Sixt…

Panorama depuis le haut du village d’Eygalières

Eygalières est un lieu où vieilles pierres et nature cohabitent dans un ensemble charmant, à l’orée du massif des Alpilles et à deux pas de Saint-Rémy.
Il est dominé par un énorme rocher planté de pins et des ruines de l’ancien village. D,e cette végétation émerge une vierge blanche qui semble protéger les vignobles et les champs d’oliviers.
En montant courageusement à son sommet, on peut profiter d’un vaste panorama sur la campagne environnante et la chaîne des Alpilles.

La chapelle Sainte-Sixt

Le guide du Routard annonce : « La carte postale provençale par excellence »… C’est tout à fait vrai, c’est un décor exceptionnel.
La chapelle du XIIe siècle est bâtie sur une colline pierreuse dénuée de végétation à l’exception de quelques arbres squelettiques rongés par le soleil et déformés par le mistral. Elle sert très souvent de décor pour le cinéma.

Les Alpilles, les Baux-de-Provence et Estoublon-Mogador…

Un ciel d’un bleu franc, un écrin de verdure, une richesse agricole incroyable, de magnifiques mas, de très beaux domaines, un grand vaisseau de pierre qui veille sur la vallée…
Là où le végétal et le minéral ne font plus qu’un… Là où le vert des oliviers côtoie celui de la vigne et des arbres fruitiers pour former un grand tapis magique.

Les Alpilles

Les Baux-de-Provence

Un site unique, une forteresse qui jaillit de la garrigue, de grandes murailles de pierre qui se dorent au soleil.
Difficile de distinguer le bâti, tout se confond.
C’est un patrimoine sans pareil, certes très touristique et peu fréquentable en saison mais le panorama sur la plaine de la Crau jusqu’à la mer, la montagne Sainte-Victoire et la vallée des Baux vaut vraiment le détour.

Le château d’Estoublon-Mogador

Estoublon vient du provençal « estouble » qui signifie « ce qu’il reste sur la terre quand le blé est coupé », c’est-à-dire la paille de blé. Le blason du château d’Estoublon est une chimère qui tient une gerbe de blé. En 1971, l’ORTF tourne à Estoublon un feuilleton fleuve qui aura un succès considérable : Les gens de Mogador, tiré de la saga d’Elisabeth Barbier.
La famille propriétaire de l’époque décide d’apposer le nom de Mogador à celui d’Estoublon. Le château s’appellera désormais le château d’Estoublon-Mogador.

Arles

En premier il faut voir le marché d‘Arles et la diversité de ses forains alignés sur le boulevard…

Et puis, il faut flâner à Arles, se balader dans les ruelles ombragées bordées de beaux immeubles XVIIe, applaudir les taureaux rois dans la clameur des arènes…

Il faut aussi marquer un arrêt à la Librairie Actes Sud pour quelques achats et faire un tour à la fondation et à l’espace Van Gogh,

Et pour finir cette agréable visite, il faudra aller se poser pour un repas ou pour un verre aux nombreuses terrasses de cafés et restaurants de la place du Forum, toujours noire de monde !

Le café Van Gogh

Dans les pas de Vincent Van Gogh à Arles

Vincent Van Gogh s’installe à Arles en février 1888, la ville est pour lui la révélation de la lumière du Midi, il y réalise plus de 200 toiles et dessins.
Il y côtoie Paul Gauguin mais leur relation tourne mal. Vincent « considéré comme dangereux » est admis à l’hôtel-Dieu fin 1888, il y sera soigné après s’être tranché l’oreille avant d’être interné au monastère Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémy.

Quelques toiles peintes par Van Gogh à Arles… (source internet et collection personnelle, cartes postales)

La Montagnette, l’Abbaye Saint-Michel-du-Frigolet et Maillane

La Montagnette, c’est une vraie campagne provençale, des haies de cyprès, une culture maraîchère, des villages tranquilles et des collines de calcaire, c’est le pays cher à Frédéric Mistral, ça sent bon le thym et le romarin par ici !!
Au coeur de cette petite montagne couverte de pins d’Alep, on aperçoit les flèches de l’abbatiale de Saint-Michel-du-Frigolet dont Frédéric Mistral fut pensionnaire dans sa jeunesse. C’est un lieu apaisant dans un décor très méditerranéen. On y traverse aussi quelques villages charmants, Boulbon, Graveson et Maillane patrie de Frédéric Mistral.

Maillane et Frédéric Mistral

Tout près d’Arles se trouve le village de Maillane, patrie du poète provençal Frédéric Mistral, né  en 1830 et décédé le 25 mars 1914 dans le même village.
Par son travail et ses oeuvres, le poète a réhabilité la langue occitane.
Il y écrit Le Trésor dou Félibrige qui reste à ce jour le dictionnaire le plus riche de la langue occitane. Son oeuvre capitale restera Mirèio, long poème en provençal pour lequel il obtiendra le prix Nobel de littérature en 1904.

La maison de Frédéric Mistral à Maillane, aujourd’hui son musée (source internet)

Jean Giono qui n’admettait pas d’être classé parmi les écrivains régionalistes disait de Frédéric Mistral :

Où encore dans ses entretiens avec Jean Amrouche :

Et pour finir ce beau voyage, quelques photos pêle-mêle, et quelques bonnes adresses…

  • A Eygalières, le café de la place et sa terrasse
  • A Maussane, le café de la fontaine, la boutique Jean Martin et le moulin à huile de Jean-Marie Cornille
  • Au Paradou, le village des santons « La petite Provence du Paradou »
  • Au domaine d’Estoublon-Mogador, l’huile d’olive et les vins, les beautés de la nature .
  • Aux Baux-de-Provence, le village des Baux et les carrières de lumière.
  • A Arles, les bistrots de la place du Forum, le restaurant l’Escaladou, l’hôtel de la Muette et l’hôtel de l’Amphithéâtre.
  • dans chaque village il y a des arènes, ne pas hésiter à assister à une course camarguaise. Très agréable, beaucoup de folklore et des frissons, ne craignez rien, le taureau est ROI !!
  • Sur la route : Fontvieille et le moulin d’Alphonse Daudet, les ruines de l’Abbaye de Montmajour, Novès et ses arènes, Boulbon, Graveson et son musée Auguste Chabaud et un peu plus loin Tarascon et Avignon bien sûr.

Le 15 mars 2024
Michèle Reymes

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De Saint-Rémy-de-Provence à Arles, des Alpilles à la Montagnette, une autre Provence… Épisode 1

Saint-Rémy-de-Provence


« Il est vain de vouloir réunir… »

« Il est vain de vouloir réunir ce que Dieu a désuni. Il y a deux Provences très différentes l’une de l’autre. La Basse-Provence circule à plat sur la rive gauche du Rhône. (…) La Haute-Provence déroule ses bastions de collines (…) C’est le pays sur lequel se sont éboulées les Alpes. Les collines d’altitude moyenne qui en recouvrent les trois quarts gardent encore les traces d’un bouleversement géologique alpin. » 
Jean Giono – Provence

Parlons de cette « autre Provence », celle du Félibrige, plus brillante et plus touristique , plus folklorique aussi que celle de Jean Giono. C’est vrai que l’auteur en parle peu mais j’ai pu trouver dans ses écrits des références souvent quelque peu « ironiques. »

« On entre dans les Champs Élysées… »

Saint Rémy-de-Provence

Saint-Rémy c’est Nostradamus…

Saint-Rémy, c’est la patrie de Nostradamus, il y est né le 14 décembre 1503 et est décédé le 2 juillet 1566 à Salon-de-Provence.
Nostradamus, prophète, poète, médecin, astrologue ? Qui est-il vraiment ? Il est surtout connu pour ses prédictions et ses prophéties sur la marche du monde.

Voici ce qu’en disait Jean Giono qui ne possédait pas moins de sept éditions de Nostradamus dans sa riche bibliothèque :

Saint-Rémy c’est un grand site gallo-romain…

C’est un site archéologique important qui fait face au merveilleux paysage des Alpilles, il y a les Antiques avec l’arc de triomphe, le mausolée des Jules et Glanum. Ce plateau des Antiques se situe sur la route des Baux à la sortie de Saint-Rémy.

Saint-Rémy c’est un « petit » morceau de vie de Vincent Van Gogh

Le peintre séjourna  un an au monastère Saint-Paul de Mausole, (juste avant les Antiques à la sortie de Saint-Rémy en grimpant vers les Baux) exactement du 3 mai 1889 jusqu’au 16 mai 1890 peu avant sa mort.
Il y peignit environ cent cinquante toiles toutes plus belles les unes que les autres. 
Le monastère abrite un asile qu’on appelle aujourd’hui « maison de santé Saint-Paul ».

La maison de santé Saint-Paul
Un champ de blé de Vincent (collection carte postale personnelle)

Et Saint-Rémy c’est aussi …

… La douceur provençale, un gros bourg ancré dans ses traditions et bercé par le chant des cigales, des ruelles animées, des placettes ombragées. « Ici le soleil pense tout haut, c’est une grande lumière qui se mêle à la conversation. » (Jules Supervielle –Embarcadère – 1922)
Ce sont de beaux commerces, un gros marché provençal  qui envahit tous les mercredis les rues de la cité, des fêtes provençales hautes en couleurs et marquées par le territoire et la proximité de la Camargue ; un boulevard circulaire à l’ombre des platanes et qui sent bon le Sud, une multitude de terrasses de café colorées et bruyantes, des restaurants, des arènes pour frémir un peu et applaudir le folklore des courses camarguaises.
Et si vous cherchez un peu de fraîcheur, allez vous promener le long du chemin de halage qui borde le canal des Alpines ou poussez jusqu’aux berges du lac de Peiroou, c’est le calme assuré…

A l’ombre de sa pinède, un havre de paix, le lac de Peiroou :

Le canal des Alpines et la fraîcheur de ses berges…

Saint-Rémy dispose de tout un réseau de petits canaux et du canal principal des Alpines. Ce sont des canaux d’irrigation.

Et pour finir, les courses camarguaises, alors direction les arènes !

Impossible de quitter Saint-Rémy sans au moins s’attabler quelque peu à l’envi…
Le mieux c’est de s’établir quelques jours en ville et prendre le temps de découvrir tranquillement cette cité au caractère provençal bien trempé, son folklore et ses fêtes tout au long de l’année.

Deux bonnes adresses :

  • Restaurant chez Xa : 24 boulevard Mirabeau (boulevard circulaire)
  • Restaurant Da Peppe : 2 Avenue Fauconnet (face à la place de la République)

Rdv au prochain article pour la suite de cette escapade au « bonheur des Alpilles »…

Michèle Reymes

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La Vallée du Jabron, quelques heures de bonheur…

Quelques heures de bonheur…

Je suis tombée sous le charme de cette petite vallée du Jabron.
À l’ubac de la montagne de Lure c’est un décor somptueux qui nous attendait, un magnifique terrain de jeu pour qui apprécie la randonnée, tout y est, le calme absolu, les champs de lavande bien fleuris, une belle activité agricole et de beaux corps de ferme bien préservés.

C’est donc à Lange (1), loin du tourisme de masse, que nous avons débuté cette randonnée entre ciel et terre dans une ambiance champêtre et harmonieuse. Le soleil tapait fort !!
Sur cette petite route D303, de nombreux hameaux éparpillés composent la commune de Châteauneuf-Miravail, les Patins, les Brochiers, les Curniers, les Costeliers…
Partout, une architecture caractéristique du pays de Haute-Provence, entretenue dans le respect des traditions.

Peu après avoir traversé à gué le torrent de Druigne, notre chemin a aussi croisé celui d’un cavalier qui franchissait le pas de Redortiers « comme un épi d’or sur un cheval noir ». C’est aux Omergues au fond de la vallée qu’Angelo, notre Hussard, découvrit les premières victimes du choléra. Dans le film, Jean-Paul Rappeneau a transposé cette scène au hameau des Brochiers.
D’après le livre de Jean-Louis Carribou15 balades littéraires à la rencontre de Jean Giono – Tome 2 (Marcher un livre à la main).

Sur la D303 donc, voici que se profile Les Brochiers, c’est un bel ensemble d’une architecture provençale très ancienne.
Une poignée de maisons regroupées sur un promontoire au-dessus de la route et qui me font penser au Rocher d’Ongles.
Nous sommes au coeur d’une scène importante du film…

La boîte aux lettres des Curniers…

Malgré notre départ aux aurores, la chaleur est intense, nous traversons d’abord le hameau des Curniers (jolie fontaine et boîte aux lettres), puis à la sortie du hameau des Costoliers, un sentier s’élève sur la gauche en direction de l’église Saint-Mary et des ruines du château des Graves.
Le détour vers le château ne se fera pas, il fait trop chaud…
Le chemin se fait plus petit et serpente en plein soleil au-dessus de deux combes vertigineuses et minérales avant de se perdre sous les ombrages.
Il se faufile maintenant entre quelques ruines, un ruisseau, d’anciennes parcelles cultivées et de la lavande pour arriver à l’église Saint-Mary.

L’ancienne école et l’église Saint-Mary

L’ancienne école a été reconstituée telle qu’à l’époque avant 1850, elle se trouve en dessous du préau et se visite sur demande à la mairie de Châteauneuf-Miravail (voir aussi l’association des amis de Châteauneuf-Miravail).
Cet édifice date du XIIIe siècle.
Le site est très agréable, beaucoup d’ombre , un cimetière et un joli préau restauré et aménagé pour le repos du randonneur.
A cette hauteur la vue sur la vallée et ses hameaux est superbe.

La vue depuis le préau, au loin le hameau des Brochiers

Après un repos salvateur, au bord du chemin, au milieu des champs de lavande, nous abordons un oratoire dédié à Saint Sébastien. Cet oratoire a été édifié pour remercier le saint d’avoir protégé Châteauneuf-Miravail de l’épidémie de choléra de 1884.

L’oratoire dédié à Saint Sébastien

Cette belle escapade se termine, avant de retrouver le point de départ, nous traversons de nouveau pêle-mêle, prairies agricoles et lavande à perte de vue…
Un merveilleux souvenir !

Sur la route du retour, une pause bien méritée et rafraîchissante au bistrot du village de Noyers-sur-Jabron…

Du haut de Lure, la vallée du doux Jabron

(1) Pour en savoir plus sur le hameau de Lange et la vallée :

Le Père Cler, Histoire d’un abbé Félibre des Basses-Alpes de Annie Faravel et André Poggio – Le père Eugène Cler était natif de Lange.

Michèle Reymes







Michèle Reymes

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Saint-Julien-en-Beauchêne et Beaumugne…

Terre de vacances et d’inspiration…

« Ici il fait délicieusement frais le jour et merveilleusement froid la nuit. »
Jean Giono lettre à Lucien Jacques – août 1928 – Cahier Jean Giono, tome 1

« Ici, nous sommes à la limite de la Provence et des Alpes, pas très loin de cette vallée où la Durance charrie en même temps que les grosses pierres de la montagne le gros et bon esprit montagnard … »
Jean Giono – Les Vraies Richesses

Implanté à 923m d’altitude, au confluent des torrents du Grand Büech et de la Bouriane, en bordure de la forêt de Durbon, Saint-Julien-en-Beauchêne était autrefois une station de moyenne altitude.
Le village était fréquenté en particulier par une clientèle provençale qui y trouvait un climat favorable et salubre (air pur et sec). C’était une étape touristique sur la RN 75 reliant Nice à Grenoble et appelée « route d’hiver des Alpes ».
C’est donc après plusieurs séjours dans le Beauchêne en compagnie de son épouse et de ses filles Aline et Sylvie, à partir de 1928, que l’écrivain publia le livre Un de Baumugnes, en référence au petit hameau perché non loin du village et dont il ne reste que quelques maisons et une chapelle.
Outre Jean Giono, le peintre Paul Signac a séjourné à Saint-Julien et résidait à l’hôtel des Alpins, il y a peint de jolies aquarelles du village entre fin juillet et début août 1914. (source internet)

« La route des Alpes est une merveille. Saint-Julien vous accueillerait volontiers avec sa simplicité , sa rudesse. »
Jean Giono Lettre à Jean Paulhan, sept 1931 – Cahier NRF, correspondance 1928/1963

« Nous avons loué un appartement 3 pièces (1), deux chambres à Saint-Julien-en-Beauchêne, Hautes-Alpes. »
Jean GionoLettre à Maxime Girieud, juin 1928 – Cahiers Jean Giono, tome 1.

Trouver cette maison n’a pas été facile… Mais un petit mail au maire de la commune, M. Jean-Claude Vallier, une réponse sympathique et très intéressante et le tour était joué ! En voici la copie :

« Cette maison est à l’angle de la rue du Dauphiné, et la rue de Provence. Je ne suis pas allé sur Google Earth, où je pense que vous pouvez la voir également.
Elle est à peu de distance du « Café du peuple », qui n’existe plus en tant que café, mais est devenu une habitation particulière. Juste en face de la maison Giono, il y avait un autre « bistrot », le « Café du Centre ».  Je serais enclin à penser que le
« Prélude de Pan », écrit par Giono,  est inspiré de « festivités » dans le Café du centre, et je pense aussi qu’ à son époque, les habitants allaient régulièrement dans les « bistrots » de la commune, qui étaient bien plus nombreux qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Enfin, Giono circulait beaucoup, à l’époque, les trains avaient la bonne idée de s’arrêter dans toutes les communes traversées, et beaucoup de gens utilisaient ce moyen de se déplacer. Maintenant, la Région a rétabli une circulation d’autorails, qui traversent nos communes sans s’arrêter, ce qui revient à dire qu’ils ne rendent pas le service que les habitants pourraient en attendre. On n’arrête pas le progrès… »
J.C. Vallier, Maire de Saint-Julien

 « Depuis longtemps je viens dans ce maigre village de montagne ; il est aux confins de ma terre ; il est aux lisières des monts, assiégé de renards, de sangliers, de forêts et d’eau glacée. De hauts pâturages dorment au milieu des nuages ; le ciel coule et s’en va sous le vent ; il ne reste là-haut que le vide gris et les vols d’aigles silencieux comme le passage des ombres. »
Jean Giono – Solitude de la pitié

Quelques images du village, au fil des rues…

Entre Hautes-Alpes et Haute-Provence…

« Ça se passait au jeu de boules avec le chef de gare et le capitaine d’habillement de Grenoble en congé. Je buvais l’anis comme feu Verlaine et je passais des soirées dans un bistrot à allure de caverne à brailler des chansons piémontaises avec accompagnement d’accordéons. »
Jean Giono Lettre à Lucien Jacques – août 1928 – Cahier Jean Giono, tome 1

« Ce 4 septembre, donc, on écarta les volets, et c’était le beau temps. Ceux du café du Peuple avaient planté un mai devant leur porte. (…) Ceux du café du Centre avaient installé des tréteaux jusque sous l’arbre de la Liberté. Le lavoir était plein de bouteilles qui fraîchissaient sous l’eau. L’épicier avait commandé à son cousin du Champsaur une caisse de tartelettes, et il était sur le pas de sa porte à les attendre, et il disait à ceux qui passaient :
« Vous savez, je vais avoir des tartelettes. »
Et on pensait :
« Bon, ça fera bon dessert. »

Jean GionoSolitude de la pitié

Un de Baumugnes. « De simples histoires d’espérance… »

« C’est « Un de Baumugnes » qui nous a mis dans ce train. Cette ligne est même le meilleur itinéraire pour repérer la géographie du roman. Puisque tout au long de la voie ferrée, les lieux se succèdent comme dans les pages du livre.
(…) Mais c’est une fois franchi le col de la Croix-Haute seulement, qu’on entre dans « Un de Baumugnes ». Car voici Saint-Julien-en-Beauchêne, où naquit ce roman. »

Dominique Le Brun – Le bâton de Colline

Sur la D 1075 qui descend vers la Haute-Provence et le val de Durance, à la sortie de Saint-Julien, il y a sur la gauche cette petite pancarte qui m’a longtemps attirée, ce qui y était écrit aiguisait chaque fois ma curiosité…
Moi aussi c’est Un de Baumugnes qui m’a mise sur cette toute petite route bordée de chênes verts qui serpente à flanc de colline, deux véhicules ne peuvent se croiser, il faut rouler doucement et profiter du paysage.
Quelques sommets, des forêts, des prairies, la rivière, une fromagerie, une chapelle et enfin une poignée de maisons forment ce joli hameau. 
Et là soudain, beaucoup d’émotion, je suis à Baumugnes (2)… 

« Dans le matin, si tu arrivais, au bout de ton pas, sur le rebord de Baumugnes (c’est guère possible, mais admettons) si tu arrivais, dans le matin, ce serait dix maisons et le poids silencieux de la forêt. »
Jean Giono – Un de Baumugnes

« Je passe à l’embranchement où est planté le poteau : « Route de Baumugnes ». Je m’arrête un moment. L’air est glacé.(…) Le vent fait toujours le même sifflement dans les rochers qui marquent l’ouverture du chemin. Il me semble que je suis revenu au temps où j’écrivais ici mon livre. Parmi vous qui m’avez aidé, parmi vous qui avez tout fait. »
Jean Giono – Les Vraies Richesses

 » Dans la plupart de ces maisons, mes livres sont sur la cheminée de la cuisine, entre la boîte à sel et le bougeoir. Et on les prend pour ce qu’ils sont  : de simples histoires d’espérance. »
Jean Giono – Les Vraies Richesses
« C’est beau, c’est bon, c’est large et net. »

« Moi, j’ai dans moi Baumugnes tout entier, et c’est lourd parce que c’est fait de grosse terre qui touche le ciel, et d’arbres d’un droit élan ; mais c’est bon, c’est beau , c’est large et net, c’est fait de ciel tout propre, de bon foin gras et d’air aiguisé comme un sabre.
Baumugnes !
La montagne des muets ; le pays où l’on ne parle pas comme les hommes. »
Jean Giono – Un de Baumugnes
« Au bord des profondeurs bleues… »

« …Et ils sont arrivés sur cette petite estrade de roche, au bord des profondeurs bleues, tout contre la joue du ciel, et il y avait encore un peu de terre à herbe, et ils ont fait Baumugnes… »
Jean Giono – Un de Baumugnes

Fresques publicitaires et fontaines…

Cette halte annuelle à Saint-Julien reste incontournable.
Me rapprocher de l’écrivain sur cette route des vacances, marcher dans ses pas toujours en quête de l’oeuvre, c’est idéal pour se préparer à rejoindre le cher pays de Haute-Provence.


Et pour finir une belle petite adresse, le restaurant de « l’hôtel les Alpins »(3) à Saint-Julien. Belle terrasse, service sympathique, assiettes copieuses et délicieux produits du pays !

Le 23 Octobre 2023,
Michèle Reymes

(1) Monsieur et Madame Bertrand, cultivateurs aisés en retraite, chez qui Jean Giono avait pris pension à Saint-Julien.
(Note dans Cahier Giono, tome 1)
(2) Baumugnes, orthographié selon…(Beaumugne ou encore Baumugne)
(3) Hôtel « les Alpins » autrefois appelé « hôtel des Alpins ».

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Le Mont Aiguille, sentinelle du Vercors « L’admirable monde »…

Une émotion toute particulière…

Quand on a passé Grenoble, une dernière aire de repos et c’est la fin de l’autoroute A 51. Là il faut obligatoirement marquer l’arrêt, le grand spectacle commence…
Il faut savoir prendre son temps, lever les yeux et savourer avant de continuer…
C’est le balcon Est du Vercors, une sorte de forteresse imprenable faite de vertigineuses falaises de calcaire bordées de hauts-plateaux et de belles forêts qui semblent partir à l’assaut des sommets.
Il faut comprendre que ce sont des espaces capables de soulever une émotion toute particulière, le coeur se serre un peu et s’emballe, les yeux sont humides, c’est tout simplement parce que c’est très beau et que l’on est heureux de tant de beauté !

Une dernière aire de repos qui laisse présager de belles choses…

Vercors insolite et douceur du Trièves

Cette année une visite s’impose.
Celle de faire un détour par Chichilianne et m’approcher au plus près de ce mont Aiguille qui culmine à 2 087m d’altitude, le « mont invincible », celui que j’ai toujours contemplé de loin et qui me paraissait inaccessible. Chichilianne c’est une petite commune du Trièves, agréable, calme et tranquille, un lieu chargé d’histoire, paradis des randonneurs et de l’escalade. Ce village est posé au pied du Mont Aiguille et du Grand Veymont (point culminant du Vercors avec 2 341m) dans un décor très champêtre.

« Et c’est ainsi que je me suis trouvé un jour à Chichilianne, petit village du Trièves. Qui connaît le Trièves ? Faute de correspondre à une entité administrative, ce nom ne figure, pour ainsi dire, sur aucune carte. Précisons donc tout de suite qu’il se trouve au sud de Grenoble en direction de Gap, à l’est du massif du Vercors. »
Dominique Le Brun – Le Bâton de Colline, sur les chemins de Provence en lisant Giono.

« Le Trièves forme un embrouillamini de collines, de vallées, de plateaux dans le sud de Grenoble, entre les falaises du Vercors, le cours du Drac et le massif du Dévoluy (…) Giono y trouva un pays de caractère qui ne manqua pas d’exciter son imaginaire pourtant fécond. »
Dominique Le Brun – Le Bâton de Colline, sur les chemins de Provence en lisant Giono.(1)
Le Trièves

Jean Giono s’est attaché au Trièves à la suite de la visite que lui avait faite à Manosque le peintre Édith Berger qui s’était installée à Lalley où elle occupait les fonctions de secrétaire de mairie.
C’est après avoir passé l’été 1931 à Saint-Julien-en-Beauchêne, un peu plus bas, que Jean Giono vient pour la première fois en Trièves. Pendant ces étés-là il occupera à Lalley la maison louée par le maire de la commune. Plusieurs de ses romans auront pour cadre cette terre d’inspiration et notamment Un roi sans divertissement qui se passe en partie à Chichilianne. (source : Le Trièves de Jean Giono)

À Chichilianne, « Un roi sans divertissement »

« Le roman nous promène dans toute la partie du Trièves qui monte vers le col de la Croix Haute (…) On entre avec Frédéric dans Chichilianne, au pied du Mont Aiguille, on suit Langlois à Sainte-Baudille, et même jusqu’à Grenoble, mais on a constamment le sentiment que le paysage familier, si reconnaissable soit-il, prend peu à peu une autre signification, devient un lieu magique où s’opère la transformation des individus à la recherche de leur vérité intérieure, fût-ce le monstrueux qui réside en eux. »
René Bourgeois et Jean Serroy – Patrimoine en Isère.(2)

« Frédéric a la scierie sur la route d’Avers. Il y succède à son père, à son grand-père, à son arrière-grand-père, à tous les Frédéric. »
Jean Giono – Un roi sans divertissement
Petit clin d’oeil à la scierie de Frédéric sur la route d’Avers…

« M.V. était de Chichiliane (3), un pays à vingt et un kilomètres d’ici, en route torse, au fond d’un vallon haut. On n’y va pas, on va ailleurs, on va à Clelles, on va à Mens, on va même loin dans des quantités d’endroits, mais on ne va pas à Chichiliane. On irait, on y ferait quoi ? On ferait quoi à Chichiliane ? Rien. (…) C’était donc très extraordinaire Chichiliane.
Jean Giono – Un roi sans divertissement
Chichilianne, la place de l’église.

« Cette fois Frédéric II prend le pas de course. C’est ainsi qu’il tombe tout à coup sur un village dans lequel l’homme est en train d’entrer (…) Mais l’homme, après la grande rue, traverse la place de l’église. Il entre dans une autre rue, très belle et très propre ; large ; Les maisons sont cossues. (…)
Jean GionoUn roi sans divertissement
Mairie de Chichilianne
Le café de la place (anciennement hôtel du Nord et Allemands) Juillet 2023

(…) Il y a deux choses à faire : savoir le nom du village ; ici qu’est-ce que c’est ? (…) et manger un bout de pain. Le nom du village, le plus simple c’est d’aller à la mairie (…) À la mairie, dans le couloir, il n’y a pas besoin d’aller plus loin, il y a l’affiche d’une adjudication de coupe « Mairie de Chichiliane » et maintenant (…) une boulangerie où il achète deux sous de pain et le café de la place où il demande deux sous d’eau de vie dans laquelle il trempe son pain.
Jean GionoUn roi sans divertissement

« Sur les chemins de Provence en lisant Giono… »

Ce sont les romans de Jean Giono qui m’ont fait connaître et aimer cette belle région du Trièves. Opter pour la marche avec un livre à la main est la meilleure solution pour découvrir un pays. La géographie et la littérature ne sont alors qu’un seul et même guide.
Après la lecture d’Un roi sans divertissement, j’ai choisi la compagnie du livre de Dominique Le Brun, Le Bâton de Colline, sur les chemins de Provence en lisant Giono ; c’est ainsi que je suis arrivée à Chichilianne, Lalley et même Saint-Julien-en-Beauchêne. Ces petites enquêtes touristiques et littéraires m’entraînent chaque fois dans des paysages réels ou imaginaires chers à l’auteur.
Je reviendrai à Chichilianne pour approfondir encore mes connaissances et me laisser fasciner un peu plus par cette forteresse de pierre, ce mont solitaire et majestueux (4).

Michèle Reymes
04/10/2023

(1) « Le Bâton de colline, sur les chemins de Provence en lisant Giono » – Dominique Le Brun – Éditions Cheminements.
(2) « Le Trièves de Jean Giono » – René Bourgeois et Jean Serroy – Patrimoine en Isère, Musée Dauphinois Grenoble.
(3) Dans son roman « Un roi sans divertissement » Jean Giono orthographie Chichiliane avec un seul « n ».
(4) Antoine de Ville, seigneur de Lorraine, capitaine de Charles VIII, premier alpiniste à gravir le Mont Aiguille en 1492 et considéré comme un pionnier de l’alpinisme.

Géographie des lieux
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Serge Fiorio à Taninges…

Merci à André Lombard dont l’aide m’est toujours aussi précieuse…

« …Serge Fiorio dont l’oeuvre peint respire à la même hauteur que l’oeuvre écrit de son cousin Giono. »
Pierre MagnanPour saluer Giono

À Montjustin en 2010…

C’est le 15 septembre 2010 à Montjustin que j’ai rencontré le peintre Serge Fiorio…
Serge, j’en avais entendu parler lors de nos visites au Paraïs à Manosque. Son hospitalité, sa bonhomie, son sens de l’accueil nous avaient été racontés…

À l’entrée de Montjustin, une des premières maisons sur notre gauche, et là une belle surprise nous attend lorsqu’il nous a interpellés depuis la fenêtre de son atelier, proposant son aide. 

Quelle joie encore aujourd’hui la mémoire de cette rencontre hors-normes pour moi… Le voilà devant nous, souriant, proposant de visiter sa maison, ce qui fut fait immédiatement, cet atelier où sans aucun doute beaucoup de ses oeuvres ont vu le jour.

Quelques tableaux, un portrait de Jean Giono trônant en bonne place sur un chevalet, palettes et pinceaux en quantité, c’est un univers enchanteur qui s’offre à nous avec une vue superbe sur le Luberon, comment ne pas être inspiré par de tels paysages.

Comme je lui exposais le but de mon escapade au village, sans hésitation il nous raconta, en vrac, la vie à Montjustin, Lucien Jacques et Jean Giono, sa vie à lui et son grand âge… Il allait avoir 100 ans… (1)

« En m’installant à Montjustin, j’avais la certitude très forte de prendre là un chemin dont je ne dévierai plus. »
Serge Fiorio

Serge nous a quittés début 2011 à la veille de ses 100 ans. Il repose au petit cimetière de Montjustin.
Je dis cimetière mais je devrais dire « jardin », tant cet endroit ne ressemble que de très très loin à un cimetière.

A Taninges, Serge et son cousin Jean Giono

Taninges

Si lors d’un séjour savoyard je suis allée jusqu’à Taninges (Haute-Savoie), c’était pour une bonne raison. 
Retrouver trace du passage de Serge Fiorio, le peintre de Montjustin dont Jean Giono était le cousin.

« Aussitôt démobilisé, papa est revenu au bercail, il a repris son entreprise en main, un chantier ici, un chantier là, chaque fois ou presque, il nous fallait le suivre, déménager. Nous l’avons fait dix ou douze fois avant de nous installer, pour 16 ans, à Taninges, en Haute-Savoie où associé à tonton Ernest, il y exploita une carrière à ciel ouvert. » 
Serge Fioriodans « Habemus Fiorio ! » – André Lombard (La Carde éditeur)
Serge Fiorio et Jean Giono (Source A. Lombard)

Au coeur de la vallée du Giffre, sur la route de Samoëns, Taninges se trouve à la croisée de deux torrents, le Giffre et le Foron.

C’est un gros bourg encadré de montagnes qui mérite qu’on s’y attarde. Le torrent qui le traverse lui donne du caractère,  les abords sont joliment fleuris, le centre ancien et la Chartreuse de Mélan valent le détour. 
Il faut oser s’aventurer, découvrir le charme du centre historique, la place du marché qui semble avoir peu changé au fil des siècles, les ruelles escarpées étroites et sombres, la rue des Arcades, le vieux pont fleuri qui enjambe le Foron. Cet ensemble contribue au charme tranquille de cette commune de Haute-Savoie.

La place du Marché

Nous poursuivons notre balade jusqu’à la Chartreuse de Mélan
Édifice imposant et parfaitement restauré, la Chartreuse semble faite pour ce décor somptueux, c’est un riche patrimoine qui abrite aujourd’hui de belles expositions d’art, on y donne aussi des concerts.
En altitude se trouve la station de ski de Praz-de-lys -Sommand.

Je suis donc partie à la recherche de Serge, recherche plus ou moins fructueuse il faut le dire…
Toutefois à la « Maison du Patrimoine » et à « l’espace Jacquem’Arts » l’accueil fut formidable.
« L’espace Jacquem’Arts » accueille tout au long de l’année de belles expositions d’artistes régionaux et la « Maison du Patrimoine » fait découvrir l’histoire de la commune et la vie sociale du pays au fil des siècles, le tout richement documenté.

Il était une fois …

Après avoir beaucoup cherché et trouvé, voici quelques photos du site de la carrière de pierres exploitée par la famille Fiorio , du moins ce qu’il en reste envahie par la végétation – (Photos été 2021)

Émile et Ernest  Fiorio habitent Taninges depuis 1924, ils sont les fils de Marguerite Fiorio née Giono, soeur du père de Jean Giono. Ils sont à cette époque entrepreneurs de travaux publics.
Serge Fiorio, fils d’Émile, a deux frères Aldo et Ezio, ainsi qu’une soeur aînée prénommée Ida. Il s’installe à son tour à Taninges en 1924 et là je laisse la parole à mon ami André Lombard (1), qui mieux que lui pour dresser le portrait de Serge, lui qui a vécu au plus près de l’artiste. Voici donc ses mots :

« Serge a vécu à Taninges de 1924 à 1940. Mais à partir de 1936, pensant ainsi  avoir plus de temps pour peindre, il n’a plus travaillé à la carrière paternelle où il cassait du caillou. Il s’est installé photographe au village. »
Serge photographe (source André Lombard)

« Je travaillais au chantier de bon coeur. J’avais besoin de sentir que j’avais des muscles, qu’ils pouvaient me permettre la confrontation avec les pénibles travaux physiques. Cela m’a donné beaucoup de force et d’assurance par-delà les grandes et bénéfiques fatigues.
S’allonger le soir, après une journée de dix heures à charger des wagonnets de pierres, et sentir un bien-être à faire rêver, cela me convenait. Le travail en équipe aussi. Travaux de carrier, puis d’entretien et de tracé de routes, ont rempli ma vie pendant dix années. »
Serge Fiorio

Quelques photos des ouvriers carriers prises par Serge à Taninges (Photos A. Lombard)

« Mais il ne gagnait pas sa vie ; de plus les rares bonnes journées de belle lumière, il était obligé de les consacrer, non à peindre comme il le souhaitait, mais à la photographie !
N’empêche, il a fait le portrait de nombreux compagnons ouvriers, et peint à ce moment-là de grands formats comme « Les joueurs de Morra » et la « Cérémonie du cheval » par exemple, qui sont des toiles majeures de ce qu’il est maintenant, selon la judicieuse dénomination inventée par Gérard Allibert,  convenu d’appeler « La période solennelle » de son oeuvre peint. »
André Lombard

« A cette époque des premières années trente, Giono venait chaque été en vacances chez les Fiorio ; Serge lui a alors servi de guide pour de grandes randonnées en montagne et ils ont ainsi beaucoup partagé. »
André Lombard 

Quelques courriers de la main de Jean Giono à Lucien Jacques relatant ses visites à Taninges chez les cousins Fiorio :

Le 19 août 1930 :
« Je pars après-demain pour Taninges Haute-Savoie chez mes cousins Fiorio où m’attendent tous mes cousins et cousines de la Suisse. J’avais une faim terrible de voir ce monde des Giono. Je t’ai dit ce que c’est que l’atmosphère de cette famille. Alors tu comprends. Et puis c’est un peu toute la jeunesse qui est restée là. Et puis tout un tas de choses bien loin ; et ils sont si gentils. »

Le 05 septembre 1931 :
« Mes gionesques cousins, des gars de vingt ans, avec la barbe, et 1m92 de haut et 1m de largeur d’épaules, (il y en a un que j’appelle Jupiter jeune et l’autre Dyonisos). (…) J’irai passé cet hiver, tout l’hiver à Taninges… Mes cousins sont tous les deux terrassiers et Jupiter conduit les camions de l’entreprise. Mon cousin Serge, celui que j’appelle Dyonisos et qui est tellement beau qu’on ne peut y croire, dessine si bien que j’ai promis de le mener un jour à Paris pour lui faire visiter le Louvre. Il y a quelque chose à faire avec ce garçon : souple, intelligent, savant de la bonne science, un sac de sang. »

De gauche à droite, Serge, Jean Giono, Aldo et Ezio (source A. Lombard)

Le 10 août 1932
« Je vous attends, toi, Rose et Hugues pour le 15 août à Taninges. Si vous ne veniez pas, ce serait pour moi un  très gros chagrin.
Route depuis Grenoble :
Montmélian, Albertville, Ugine, Flumet, Mégève, Sallanches, Cluses, Taninges.
La plus belle, la plus ‘routable’, la plus courte. (Chez Émile Fiorio rue des Arcades Taninges). »

Octobre 1933
« Je suis ici avec mes cousins Émile, Ernest, Aldo, Serge et Ezio. Tu dois comprendre quel bien cela me fait mais tu ne peux pas savoir jusqu’à quel point, je me sens comme en transfusion de sang. »
Correspondance Jean Giono-Lucien Jacques, 1930-1961-Cahiers Giono 3, Gallimard 1983

Pendant l’hiver 34, comme d’autres fois auparavant, Serge descendra à Manosque et l’écrivain lui demandera de faire son portrait. Voici ce qu’en dit André Lombard dans son « Habemus Fiorio ! » :

« Pour le moment nous ne sommes qu’en 1934, Serge descend encore une fois innocemment de Taninges « pour passer quelques jours » chez son cousin et rien ne peut laisser présager ce qui l’attend de nouveau sous le ciel magique de Haute-Provence. Il est heureux que ce soit Giono lui-même qui lui ordonne, presque le somme, en fait, de faire son portrait. (…) 
J’ai narré, dans le « Serge Fiorio » des éditions Le Poivre d’Âne, comment Giono en gare de Manosque, lui laissant à peine le temps de descendre du train, de poser son sac, aussitôt l’entreprend.
« Maintenant, tu vas aller plus loin, tu vas faire mon portrait ! » lui dit-il à ce moment-là, sans l’ombre du moindre paternalisme mais quand même, non plus, sans aucun ménagement. Giono est sûr de lui parce que déjà sûr de Serge surtout, en son for intérieur. »
Evidemment, cette invite est un cadeau du ciel, une manne pour le jeune peintre ! Mais personne n’en sait rien encore, personne ne peut vraiment savoir, ni deviner. »
Serge à Manosque au Paraïs en compagnie d’Elise Giono l’épouse de Jean Giono

« Serge se souvenait encore très bien que, tout au long de ce séjour, « pour ne pas déranger l’autre », ils ne s’étaient que très rarement adressé la parole par-dessus la petite largeur du bureau qui alors seulement les séparait. »
Portrait du poète à l’étoile et à la colombe
(source A. Lombard)

« Plus tard, il notera : « Je pense qu’en me commandant son portrait, Giono savait pertinemment que c’était là le chemin le plus direct pour m’ouvrir, toutes grandes, les fenêtres de ma propre liberté d’artiste. »
Oui, c’était là, généreusement le pousser à faire la belle, à sortir de sa chrysalide et à ouvrir grand ses ailes. »
André Lombard – Habemus Fiorio !

Retour à Montjustin…

Je laisse de nouveau la parole à André Lombard :

« Serge a le bon réflexe d’aller s’ouvrir à Giono du rêve, commun à lui et à son frère de s’installer près de lui en Haute-Provence.
Le poète l’aiguille naturellement, mais comme à tout hasard, vers Montjustin où son découvreur et ami Lucien Jacques, poète et aquarelliste de talent, vient d’acquérir une maison et quelques ruines. » (…)
Serge Fiorio et Lucien Jacques à Montjustin devant la maison de Lucien
(source A. Lombard)

« Ici au moins même si nous devons en baver, nous aurons tout ça…! »
Une vue d’exception face à la maison…

« Et tout le ciel qui va avec ! »
«  Je me suis rendu à Montjustin sur le champ ! Lucien Jacques m’y a accueilli et hébergé pendant trois jours. » raconte Serge aujourd’hui.
« Après il remontera à Taninges faire part à Aldo de son enthousiasme pour ce village quasi abandonné. (…) Ils y reviennent ensemble dès qu’ils le peuvent. 
Sitôt devant les lignes bien orchestrées de la montagne de Lure et de ses contreforts, devant le Luberon animal, devant les Alpes pures sous un ciel de crystal, Aldo s’exclame, soulignant ses paroles d’un large geste du bras et de la main ouverte :
« Ici au moins, même si nous devons en baver, nous aurons tout ça ! » 
André Lombard Pour saluer Fiorio – (La Carde éditeur)
La maison de Serge et celle de Lucien en entrant dans le village…
( l’atelier de Serge à l’étage, les deux fenêtres de face et celle du côté rue)

Une rétrospective de l’oeuvre de Serge s’est tenue à Taninges en 1983. Une trentaine de toiles choisies dans la bonne soixantaine d’années de travail alors écoulées furent présentées dans les salons de la mairie, constituant la toute première rétrospective Serge Fiorio.

Michèle Reymes

(1) André Lombard : Auteur : http://sergefiorio.canalblog.com/

À la maison du patrimoine de Taninges…
Un des livres d’André, « Pour saluer Fiorio »
est en bonne place sur le présentoir !
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Gréoux-les-bains, l’oasis romantique du Verdon…

Le charme de Gréoux…

Gréoux-les-Bains (anciennement orthographié Gréoulx) se situe au coeur de la Haute-Provence, aux portes des gorges du Verdon. C’est une station thermale réputée, le bienfait de ses eaux convient aux rhumatismes et aux voies respiratoires mais c’est avant tout un gros village provençal de caractère.
Jean Giono venait se reposer à Gréoux, il quittait l’été les grosses chaleurs de Manosque pour se réfugier chez ses amis Cadière .
Antoine Cadière était le directeur de l’établissement thermal , l’écrivain venait de ce fait y soigner sa goutte. C’est là dans cette propriété décrépite mais pleine de charme qu’il a reçu pendant plusieurs mois Jean Amrouche et Marguerite Taos-Amrouche pour l’enregistrement de ses entretiens. (1)

Lettre à Marguerite Taos-Amrouche (1) :

« Chère amie, (1948) Je désirerais aussi vous avoir pendant quelques temps ici pour que nous orchestrions plus soigneusement que par lettre ce qui doit être fait. Voilà ce que je vous offre. Il y a ici, à cinquante mètres de chez moi, plein soleil, trois pièces. Elles sont à vous. Venez , et venez tout de suite. »
Jean Giono –  J’ai ce que j’ai donné
Triste sort pour la maison de monsieur Cadière…

Aujourd’hui la maison de monsieur Cadière, propriétaire des thermes de Gréoux de cette époque, est réduite à l’état de ruine, quatre murs noircis et en partie effondrés, envahis de végétation et de ronces. La société des thermes à qui elle appartient maintenant l’a laissée à l’abandon, elle a aussi été utilisée lors d’exercices incendie par les pompiers de la ville. Hélas il n’y a plus rien à en faire…!! C’est beau et c’est triste, les ruines, ces lieux qui ont vécu, ces murs qui ont abrité et entendu tant de choses réduits aujourd’hui au silence et à l’abandon…

« Ce pays a un charme »

Le charme des berges du Verdon


Écoutons ce que Jean Giono a à nous raconter…

« Je ne connais pas d’endroit plus guérisseur de l’ennui que Gréoulx.
De même que cet endroit béni guérit les rhumatismes avec les vieux remèdes des eaux plus anciennes que le monde… Ce pays dont je veux énumérer les charmes guérit l’ennui avec les remèdes créés par Dieu à cet usage. Les seuls remèdes, à mon avis et j’aimerais bien qu’on soit dès l’abord d’accord avec moi sur ce point. »
Jean Giono – Provence
Les thermes gallo-romains de Gréoux

Juillet 1949 – extraits de lettres de Jean Giono à son épouse Élise et à ses filles :

« …Avant de faire ma valise j’ai voulu, ma petite Zizi, te faire tout de suite ce mot parce que je sais qu’au fond, tu languis un peu. Je te récrirai de Gréoux après avoir vu le docteur et commencé la cure… » 

« …Il fait ici le Sénégal !! Ici, cependant, ne veut pas dire Gréoux où les hauts ombrages, la maison fraîche où je suis, sont délicieux. (…)
Moi, j’en suis maintenant à 30′ de bain par jour. Je me sens merveilleusement bien. C’est tout à fait miraculeux. Tout de suite après le bain je me recouche très couvert ! pour deux heures de repos absolu. (…) Je retourne voir le Dr mercredi pour qu’il marque l’horaire suivant. (…) pour l’instant il dit que je suis dans une forme parfaite. La tension dont je t’ai parlé est à son avis, quoique un peu élevée, tout à fait négligeable et d’ailleurs, dit-il passagère (…) Pour la première fois, je suis absolument seul. Les Cadière, qui sont des anges, montent une garde sévère autour de moi. Je passe des jours sans dire un mot. C’est un délice. Tu auras cet hiver un mari tout neuf et les filles auront un papa plus jeune qu’elles !! »

« C’est pourquoi je reste à 30′ de bains par jour. Le Dr m’a dit qu’il attendait encore avant de me donner des remèdes hypotenseurs et que d’ailleurs, il a répété : cette tension n’est pas anormale eu égard au travail intellectuel que vous faites, à la place des remèdes j’aimerais mieux que vous fassiez une cure de silence (ne pas parler) et de solitude. C’est ce que je fais magnifiquement grâce à monsieur et madame Cadière qui sont aux petits soins pour moi et me défendent comme des lions … »
Jean Giono –  J’ai ce que j’ai donné

Ou encore dans Provence :

« Prenez donc le rageur le plus enragé et amenez le ici, par exemple un matin de juin, à l’heure où le ciel hésite entre le bleu dur et le vert tendre, pendant que démarrée des lointaines Alpes, la flotte des nuages s’essaie à des régates pleines de fantaisie, quand le duvet de la nuit brille encore sur les feuilles et sur les herbes.
S’il résiste aux vingt cinq premiers pas qu’il fait sous les tilleuls pleins de fleurs, si le parfum qui gonfle ses poumons ne lui fait pas oublier toutes les odeurs qui jusque-là excitaient ses glandes, si vous ne voyez pas son visage rajeunir à une vitesse stupéfiante, ses yeux redevenir naïfs et sa bouche s’arrondir comme celle des nourrissons, c’est qu’il n’y a plus d’espoir pour lui. (…) Mais je ne crois pas qu’il puisse résister aux vingt-cinq premiers pas. »
Jean Giono – Provence

Aussi ce que Jean Giono fait dire à un certain Mirabeau -Tonneau qui est à la tête des « Hussards de la mort » de la Brigade de Coblence : 

« Sur les conseils de Madame Pierrisnard, j’ai vu Gréoulx (…) 
Dès mon arrivée ici j’ai été payé de ma constance (…) rien n’est plus propre au bonheur, à la paix, à l’élan d’une sereine pensée. Imaginez-moi, entrecoupant de sérieuses confrontations morales avec l’air de Choris si tant est que l’aurore… que je fredonne sans cesse et sans souci de chanter juste. Voilà l’état où m’ont mis et les ombrages et la fraîcheur… » (…)
« Voilà notre Tonneau loin des Hussards de la mort , il est à Gréoulx et il fredonne Lulli (…)
Voici donc ce que disent des charmes de Gréoulx, les voyageurs authentiques ! »
Jean Giono – Provence

Ou à un certain Président des Brosses (Un Bourguignon de Dijon ) :

« Un soir l’étape se fait à Gréoulx par pur hasard :
Vous vous imaginez que je suis en Italie, rien ne va plus vite qu’un fauteuil. Moi qui ne me déplace qu’en réalité, j’approche à peine des abords. Pour tout dire,   je suis en Provence. Plaignez-moi, c’est l’aridité même. Je mendierais le ciel, après quatre jours de soleil infernal, si je n’étais depuis deux jours qui ne devraient jamais finir, dans un village où l’on prend les eaux et qui s’appelle Gréoulx ». 
Jean Giono – Provence

Ou bien à son « bien-aimé » Stendhal :

« Ah ! le cher homme, lui aussi parle de Gréoulx et en quels termes vous allez voir. Mais il n’y est pas venu (…) et que dit-il de Gréoulx ?
« J’ai, dit ce voyageur en chambre, passé la Durance, près d’une chapelle qui domine les galets de ce fleuve tapageur et gris (…) j’y suis arrivé à trois heures de l’après-midi rôti de soleil et couvert de poussière. (…) Ici tout s’est apaisé, mauvaise humeur et démangeaisons. L’eau des bains est onctueuse comme de la crème de lait et je ne connais pas de bonheur plus grand que celui que j’ai eu ensuite : déambuler dans du linge frais sous l’ombrage d’immenses platanes. Il faut dire que la société ici porte sur son visage le ravissement et la paix. C’est contagieux. » 
Jean Giono – Provence

« Le ravissement et la paix… »

La médiathèque Lucien Jacques

C’est à l’occasion d’une première visite à Gréoux à l’été 2015 que nous nous sommes rendus à  l’ exposition Serge Fiorio (2) organisée par André Lombard (3) et Jacky Michel (4) à la médiathèque « Lucien Jacques » (5).

Cet hommage au peintre, dont Jean Giono était le cousin, était riche de belles oeuvres que nous n’avions jamais pu admirer.
André Lombard, en raison de la grande amitié et proximité qui le liait à l’artiste, a su nous faire découvrir l’homme et l’artiste qu’il était.

A l’exposition

Le « Vieux Moulin » de Lucien Jacques

Lucien Jacques (Collection personnelle)

A Gréoux, il faut aussi parler de Lucien Jacques. Ici c’est le siège de l’association des amis de Lucien.
C’est au 10 rue Fontaine vieille que nous avons rencontré monsieur Jacky Michel (4) (fils de Yvon Michel, le cordonnier) et président de l’association.
Nous avons pu découvrir quelques trésors et documents qu’il nous a gentiment montrés et expliqués, retraçant l’oeuvre immense de cet artiste « multi-cultures » et « touche-à-tout ».
Lucien Jacques a résidé à Gréoux les 6 dernières années de sa vie, de 1955 à 1961 et sa maison, le « Vieux Moulin », en ruine lui aussi, se trouve en centre ville tout près des thermes et de la médiathèque. Pendant notre séjour une belle exposition se tenait à la médiathèque, intitulée « Lucien Jacques et l’Egypte ».

« Antoine Cadière, le propriétaire des thermes, mettant le « Vieux moulin » à sa disposition, Lucien Jacques garde sa maison de Montjustin mais part s’installer à Gréoux-les-Bains. (…) Il retrouve avec émotion dans l’atelier du cordonnier Yvon Michel les odeurs et visions de son enfance n’ayant pas eu de vie de famille, il trouvera chez les Michel chaleur et réconfort. »
Jacky Michel – Association des amis de Lucien Jacques
Yvon Michel dans son atelier (photo Gréoux-les-bains)

Yvon Michel le cordonnier de Gréoux parle de son ami Lucien Jacques, le locataire du Vieux Moulin

« C’était un être exceptionnel. Nous l’avons assisté les six dernières années de sa vie, jusqu’à la fin. Pour nous, c’est toujours « hier ». Il est toujours vivant dans nos coeurs. Pour ma part, je sais tout ce qu’il m’a apporté ; par sa sagesse, sa façon si juste de juger les choses dans tous les domaines, par son intelligence (…) je sais ce que j’ai perdu lorsqu’il est mort. »
Extrait d’une lettre de Yvon Michel à son ami Christian Bernard (Bulletin des amis de Lucien Jacques n° 3)

(…) « Dimanche prochain, par exemple, tu ou vous pourriez venir déjeuner à Gréoux. Si décidé, donne un coup de fil au 39, le bistrot (M. Valette) face à Michel le copain cordonnier qui m’avisera. »
Lucien Jacques (5) – Lettre à Alfred Compozet 1955 ( bulletin des amis de LucienJacques n° 12)

« Quelques heures plus tard, nous retrouvions Lucien et le conduisions au Vieux Moulin de Gréoux où il travaillait et demeurait. Trois personnes nous attendaient sur le seuil : Charles Vildrac, son épouse, et une troisième personne à qui nous n’eûmes que le temps de serrer la main et qui partit vers ses occupations. C’était un homme, la quarantaine, les yeux très bleus. Lucien nous appris que c’était le cordonnier de Gréoux, son ami. C’était Yvon Michel, le dernier ami de Lucien.
Christian Bernard 2006 – (bulletin des amis de Lucien Jacques n° 3)

Pour terminer cette agréable promenade, je vous emmène sur les berges du Verdon où vous aurez plaisir à venir vous poser et rêver !!

« Ici le soleil pense tout haut, c’est une grande lumière qui se mêle à la conversation… »
Jules SupervielleEmbarcadère 1922

Pour terminer cette jolie balade culturelle, je vous parlerai moi aussi  de la douceur et du charme de Gréoux et surtout des délicieuses promenades au bord du Verdon…
Lorsque je dis « délicieuses promenades » je pèse mes mots, c’est un enchantement au plus chaud de la journée (et il faisait très chaud pendant notre séjour) que de se réfugier sur les berges de la rivière. Vous y trouverez la fraîcheur des ombrages, une multitude de petits canards et autres petits oiseaux, tout un monde de petits habitants discrets qui jouent avec les roseaux et les rayons du soleil.
Vous trouverez des bancs propices à la lecture, à la rêverie, au repos et à la méditation, le doux bruit de l’eau, tout sera réuni pour vous sentir serein et apaisé…

Quelques bonnes adresses :
Le bar restaurant Les Marronniers – Très agréable terrasse ombragée et bonne cuisine locale (réservation conseillée)
Le moulin à huile de Gréoux – bonne huile d’olive BIO
Le grand marché provençal – le jeudi et tous ceux de la région…
Le centre de congrès de l’Étoile et ses nombreuses programmations.
La médiathèque Lucien Jacques et ses expositions.
– Les nombreux commerçants et restaurants de Gréoux.
– La proximité du lac d‘Esparron-de-Verdon et des villages du Haut-Var tout proche : (Valensole, Puimoisson, Vinon-sur-Verdon, Saint-Julien-le-Montagnier, La Verdière, Rians, Saint-Martin-de-Pallières, Varages)…

Michèle Reymes
**Re-lecture Michèle Ducheny

(1) Entretiens Jean Giono- Jean et Marguerite Taos Amrouche -Éditions Gallimard.
2) Serge Fiorio : Artiste peintre, dont Jean Giono était le cousin.
(3) André Lombard : Ami de Serge Fiorio, auteur de Pour saluer Fiorio et Habemus Fiorio aux éditions La Carde Editeurs et du blog Serge Fiorio canalblog.
(4) Jacky Michel : Président de l’association des amis de Lucien Jacques, fils d’Yvon Michel.
(5) Lucien Jacques : Poète, peintre, sculpteur,  danseur et grand ami de Jean Giono.

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On est toujours curieux…

« En réalité il s’agit d’une grande passion… »

« Une naïveté fort respectable… »

« On est toujours curieux d’un artiste. On a beau être intéressé par ce qu’il fait, et même par-dessus tout, vient un moment où on se demande comment il est. (…) C’est une curiosité naturelle et qui satisfait ce qui semble être une petite passion. En réalité il s’agit d’une grande passion. (…) C’est vouloir à toute force avoir confiance en l’homme. Je trouve cette naïveté fort respectable. »
Jean Giono – Présentation de la revue Parenthèses 1955 (Dans Giono de Pierre Citron)
Dessin de Lucien Jacques.

Au détour de ces nombreuses balades Hautes-Provençales ou ailleurs, j’ai trouvé, souvent par le plus grand des hasards quelques signes qui m’ont transportée immédiatement dans ce « pays bleu » auprès de celui qui a su si bien l’écrire et nous le faire vivre…
Des rues, des chemins, des allées, des avenues, des impasses, des andrones, des résidences, des espaces rendant hommage à l’auteur et me rapprochant un peu plus des oeuvres et des personnages qui les habitent. 
Ce sont des lieux qui invariablement font référence à  Jean Giono.

Commençons cette promenade…  Forcalquier, Pernes-les-Fontaines, Manosque, Chateaurenard, Saint-Julien-en-Beauchêne, Sarlat, Paris, Mérignac et même jusqu’à Bordeaux et Marseille… 

Et puis il y a eu en décembre 2020 d’inépuisables souvenirs, si forts, si présents, si émouvants au moment du cinquantenaire de la mort de Jean Giono avec la magnifique exposition du Mucem à Marseille… !!

Comme pour mieux apprécier les lieux…

Le Paraïs

« Un palmier, un kaki, un bassin grand comme un chapeau, cinquante vignes, un pêcher, un abricotier, un laurier, une terrasse ; et là on vit tous ensemble… »
Dictionnaire GionoClassiques Garnier

Ce sont des lieux qui nous mettent en éveil, c’est Lurs et l’affaire Dominici, c’est Elzéard Bouffier, « L’homme qui plantait des arbres », c’est Beaumugne, ce hameau du pays de Buëch, ce sont les eaux tumultueuses de la Durance à Embrun…

Elzéard Bouffier, « l’homme qui plantait des arbres« 

« Il s’appelait Elzéard Bouffier. (…) Il avait jugé que ce pays mourait par manque d’arbres. Il ajouta que n’ayant pas d’occupations très importantes, il avait résolu de remédier à cet état de choses. »
Jean Giono – L’Homme qui plantait des arbres

Beaumugne

« Le petit ? Quoi, le petit ? Il est d’Angèle, rien que d’Angèle ; eh bien il sera à moi, je le ferai mien. Il sera de Beaumugnes ; il ne sera pas à plaindre. Ça fait point de trop vilains gars, ce pays-là. » (…)
Jean Giono Un de Baumugnes

La Durance

« Il y a bien longtemps que je désire écrire un roman dans lequel on entendrait chanter le monde. (…) Un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures. Les rivières, les sources sont des personnages : Elles aiment, elles trompent, elles mentent, elles trahissent, elles sont belles… »
Jean GionoLe chant du monde

Lurs

« Et puis ce village de Haute Provence avec ces vestiges de fortifications, ses vastes maisons aux toitures imbriquées les unes dans les autres comme des écailles d’une carapace de tortue. »
Jean Giono10 balades littéraires de JL Carribou collection marcher un livre à la main

Oui, tous ces lieux dont  rien que l’énoncé me parle doucement à l’oreille…
Il y a Lure, la montagne sacrée,  Les Omergues, ce village niché au pied de l’ubac de Lure dans la vallée du Jabron où Angelo « Le Hussard » a découvert les premiers ravages du choléra. Il y a les grands espaces du Contadour, paradis de la randonnée où, avec un peu d’imagination, nous pouvons rencontrer Jules le héros de Crésus sortant de sa bergerie, tout ici est propice à la rêverie gionienne… 

« Celui qui entrera dans ces territoires heureux trouvera la porte ouverte. »

La montagne de Lure

« Quand j’arrivais dans la bousculade des collines, mon coeur fit doucement un petit plongeon. Des vagues de terre et de l’écume d’arbres à perte de vue… »
Jean Giono – Le serpent d’étoiles

Les Omergues

« Le cheval marchait gaiement. Angelo arriva au pas de Redortiers vers les neuf heures. De là, il pouvait plonger ses regards dans la vallée où il allait descendre. De ce côté, la montagne tombait en pentes raides. (…) Il était presque juste au-dessus, à quelque cinq à six cent mètres de haut de ce hameau que le garçon d’écurie avait appelé Les Omergues. Chose curieuse : les toits des maisons étaient couverts d’oiseaux… » 
Jean Giono – Le Hussard sur le toit

Le Contadour

« Le chant du plateau est une voix d’herbe et d’air, monotone et éternelle, un bruit sourd, toqué de main rêveuse sur un tambour de feuilles et qui ne s’arrête jamais de l’aube au soir. (…) L’aire du plateau est un grand tapis magique suspendu dans les étoiles. »
Jean Giono Manosque-des-Plateaux

« Les sentiers battus n’offrent guère de ressource ; les autres en sont pleins. »
Jean Giono – La chasse au bonheur

« Il faudra vraiment dessiner un jour la carte des chemins non carrossables à l’usage de vrais curieux. On fait des découvertes à chaque pas. On arrive au sommet d’une colline pour se voir contenu dans un paysage qui ne peut que pousser au bonheur. C’est à proprement parlé le plaisir de vivre. »
Jean Giono – Provence

Et puis… quand au détour de la route, en direction de Barcelonnette apparaît le vieux cimetière déplacé du village immergé d’Ubaye, mon coeur se serre un peu, il s’agit de tristesse, de recueillement et de souvenirs, il s’agit de la volonté d’une poignée d’habitants expropriés respectueux de leurs morts.

Le village immergé d’Ubaye

« Ils vont raser nos maisons. Ils n’en veulent pas au fond de leur lac. Ils disent qu’on les verrait et que ça ferait mauvais effet. Tu sais jusqu’où il va leur lac ? Jusqu’à la porte du cimetière !! »
Jean Giono – L’Eau Vive

Je pense n’avoir rien oublié de ce que je possède… J’ai mélangé les lieux, j’ai mélangé les joies, les peines, la beauté des textes et celle des choses…
Alors je me prends à rêver à ce plaisir que l’on a tous à évoquer de bons souvenirs, à transformer de petites choses en grands moments et en petits bonheurs, un peu pour soi et beaucoup pour le partage… !

« On apprend à donner de l’importance aux petites joies et surtout à les additionner les unes aux autres. »
Jean Giono – Provence

Michèle Reymes

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Jean Giono en amitié, Pierre Magnan

« Pour saluer Giono »… Épisode 2 (1939-1970)

« Peu d’écrivains ont autant célébré Giono que Magnan. Toute l’œuvre de Pierre Magnan compose un magnifique hommage à un écrivain qu’il n’a cessé d’admirer. » 
(Dictionnaire Giono – Classiques Garnier)

Pierre Magnan (Source internet)

Pour Michèle et les deux André(s)… Ils se reconnaîtront …

Quand Pierre Magnan parle de sa rencontre avec Thyde Monnier (1) avec laquelle il entretiendra par la suite une relation soutenue…

Thyde Monnier (collection personnelle André Lombard)

« C’est Giono, durant l’été 1939, qui me présente à Thyde Monnier. Tout de suite elle lui demande : il veut écrire ? Et Giono répond : Non. Il veut juste se cultiver.
Elle habite l’hôtel Pascal pour l’été. Elle m’écrit durant l’automne pour me demander de lui trouver quelque chose à louer car elle veut quitter Bandol. Elle le trouvera finalement toute seule et viendra s’installer à Manosque. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
L’hôtel Pascal sur le bd de la Plaine à Manosque (source Delcampe)

« En ces années, quoi qu’on en ait dit, Giono est à nous seuls. Nous, les jeunes Manosquins qui ne le lâcheront jamais, ne varieront jamais dans notre enthousiasme croissant et le besoin que nous avons de le lire. » 
« C’est que en 1942 le reflux des pacifistes sera total. On ne nous opposera plus sa porte, aucun ami présent en visite. (…) Il sera seul, disponible, à la merci de notre amitié.
(..) j’ignore si le bruyant ballet de notre insouciance (c’était le temps où nous étions toujours agglomérés par huit ou dix, tant filles que garçons) était capable de tirer Giono hors des cuisants souvenirs que lui laissait le récent passé, mais il est de fait qu’il recherchait notre compagnie et ne se trouvait jamais déplacé parmi nous. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

En novembre 1942 Pierre Magnan se doit de rejoindre les « chantiers de jeunesse » (2) au Lavandou :

« Mais ce jour du 10 novembre 1942 où je vais faire mes adieux à Giono, je n’ai pas le cœur à ironiser. Je ne la mène pas large. Je vais perdre à la fois Manosque, pour la première fois, Giono et Thyde Monnier. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
Blason des chantiers de jeunesse Provence

« J’atteindrai le premier la porte du camp. Il s’agit, bornant le passage, d’une légère claie verticale en fragiles roseaux. Comme sommant un arc de triomphe, une banderole en contreplaqué est accrochée entre deux poteaux fragiles. (…) Sur cette surface vert forestier est inscrite en lettres dorées qui commencent à passer la devise du camp : « Tu serviras ». »
Pierre Magnan – Un monstre sacré

Bien que Jean Giono lui ait laissé espérer une réforme dans les deux jours qui suivaient, Pierre Magnan passera bel et bien ces huit mois au Lavandou. Après avoir refusé d’aller en Allemagne il séjournera dans un camp disciplinaire de Nyons dans la Drôme d’où il s’évadera et il ne rentrera à Manoque que le 13 octobre 1944. 

« Il ne me souvient ni du parcours ni de la manière dont je gagnai le camp éloigné de quelques kilomètres de la gare de Nyons. »
Pierre Magnan – un monstre sacré

« Du camp disciplinaire de Nyons où l’on m’avait muté pour insoumission après m’avoir dégradé, je me suis évadé en peine nuit. »

« J’ouvris la porte sur la nuit. Je n’étais plus qu’un homme libre qui avait choisi son destin. J’enfourchai la bécane. (…) Je m’élançai comme un coureur, léger, aérien, la conscience tranquille. Une bouffée de bonheur me monta à la tête et je fus soudain armé d’un sourire qui ne me quitta plus jusqu’à Montélimar. »
Pierre Magnan – un monstre sacré
La gare de Montélimar – collection personnelle

Il arrive à la gare de Montélimar où l’attend Thyde Monnier.

« Il y avait sur un banc de jardin qu’un seul personnage assis et qui m’attendait. C’était Thyde Monnier, ma Nounoune comme je l’appelais. »
Pierre Magnan – un monstre sacré

Pour échapper à la Gestapo ils se réfugient à Saint-Pierre d’Allevard. Thyde y connait un instituteur, Monsieur Dalet, ils y resteront de juin 43 à octobre 44, Pierre y écrira « L’Aube insolite. » (3)

Saint-Pierre d’Allevard – (source Delcampe)

« Il a compris dès les premières paroles. Il s’écrie :
– Il se planque ? Mais vous n’avez pas besoin d’expliquer ! Ici tout le monde se planque. » (…) Séance tenante, après le repas, Dalet nous conduit à l’hôtel Biboud, le seul du pays. »
Pierre Magnan – un monstre sacré

« Le 13 octobre 1944, je rentre à Manosque toute honte bue, c’est-à-dire : je suis ce parfait personnage de Giono qui a réussi. J’ai refusé d’aller en Allemagne. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

C’est à ce moment, en septembre 1944, que Jean Giono, accusé injustement de collaboration (un prétexte pour le protéger) est emprisonné à Digne, puis transféré à sa demande à Saint-Vincent-les-Forts dans une ancienne caserne qui sert à l’époque de prison. Il y restera jusqu’au 31 janvier 1945.
Entre temps, Pierre Magnan aura publié son premier roman « L’Aube insolite » et rentrera à Manosque, contrat en poche pour l’écriture de 3 autres livres…

« Giono est rentré à Manosque. Je vais le voir. À lui non plus je ne raconte rien, je ne parle pas du contrat, je ne parle pas non plus de ‘L’Aube insolite’. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Pas très glorieuse cette époque à Manosque, la rumeur (« sport numéro 1 à Manosque » selon Pierre Magnan) qu’ont laissée courir certains Manosquins amis et certains intellectuels parisiens du Comité National des Écrivains (4) avec à leur tête Louis Aragon, accusant Jean Giono de collaborationniste, antisémite, fasciste, le traînant dans la boue… est proprement scandaleuse et c’est faire fi de tout ce qu’a pu faire, écrire et dire l’écrivain pour aider son prochain pendant cette guerre. Le reniement dont il a souffert (Giono fut interdit de publication pendant cinq ans) n’inspire que du dégoût, mais le mal est fait et persiste encore aujourd’hui dans certains esprits qui parlent à « tort et à travers »… Même si la ville de Manosque s’est largement rattrapée depuis.

« Je ne m’enorgueillis pas de grand-chose dans ma vie sauf d’avoir été le seul (…) avec son compagnon de tranchée Ludovic Eyriès à oser venir frapper à la porte de Giono. »

« Pour être avec Giono, le proclamer, entre novembre 45 et juin 46, il fallait partager son humiliation et son abaissement. »

« Aragon et le CNE, Manosque et ses envieux, le reniement de ses amis de toujours, desquels il aura la faiblesse d’oublier un jour les offenses. »
Pierre Magnan – Un monstre sacré

Le 20 janvier 1946, Jean Giono enterre sa maman Pauline, Pierre Magnan l’accompagne dans ce douloureux moment.

Jean Giono et sa Maman dans le petit sentier du Paraïs
(Photo association des amis de Jean Giono)

« J’ai dit qu’à l’enterrement de sa mère, il n’y avait pas assez d’amis pour descendre le cercueil par les dix marches qui conduisaient au seuil de notre église. »
Pierre Magnan – Un monstre sacré

« Alors Giono s’emparera de la quatrième poignée et tous les quatre nous remonterons la « Pauline Jean » jusqu’au corbillard. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
L’église Saint-Sauveur à Manosque

« Où sont-ils les compagnons chaleureux et tutoyants qui tant l’encensèrent en ses jeunes années ? (…) Oui, je sais, je suis injuste : certains étant morts étaient bien empêchés d’y être ? Plusieurs aussi se pardonnèrent facilement leur absence. Certains ne le surent pas ou trop tard. Certains étaient en conférence ou en congrès. Certains avaient ce jour-là un comité de lecture.
Mais qui ? Tous ? »

« Je vis Giono devant moi qui regagnait seul sa maison. »

« Je ne crois pas que Giono ait jamais tenu ma richesse intérieure en grande estime ni même qu’il se fût jamais avisé qu’elle existât. J’en ai parfaitement conscience en janvier 1946. Je suis écrasé par la tâche que je m’assigne : je sais que je ne fais pas le poids.  Je pense à Lucien, je pense à Berthoumieu, je pense à Jean Vachier, à Hélène Laguerre, à Fluchère, à Jean Paulhan (5), à tant d’autres. Pourquoi ne sont-ils pas ici ? C’est le moment, il a besoin d’eux. »

« Sur la route où il est seul, je le rejoins, je m’installe à ses côtés, je marche à son pas. Je ne dis rien. Un instinct infaillible m’avertit que je ne dois ni prononcer une parole de consolation ni lui tendre la main. 
Je suis là et je marche c’est tout. »

« Ce fut seulement quelque cent pas avant le Paraïs que Giono ôta sa pipe de la bouche pour me dire :
– Regarde comme c’est curieux, j’étais justement en train d’écrire la mort de la grand-mère dans le livre que j’ai commencé. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Je tenais absolument à retracer ici ce chapitre qui me touche. Mon ami André Poggio m’a dit : « Pierre Magnan n’a besoin d’aucun effort pour suivre Giono, dans l’ombre. Il se laisse porter… » C’est tout à fait vrai, mais Giono à cet instant de sa vie se satisfait de cette relation amicale et de la présence de Pierre (devenu adulte) à ses côtés,  « Giono c’est un homme qui accueille, qui met à l’aise, qui donne de l’importance à celui qui n’en a pas. » Doit-on penser pour autant que dans ce cas présent cette « amitié » n’était pas sincère ou bien qu’elle était à sens unique ?  Je ne le crois pas… Que ceux qui savent me contredisent ! 

« Pour moi c’est la période de ma vie où Giono va être le plus proche de moi. (…) Il est toujours seul. Sauf son travail, il n’a rien à faire, à part de me parler. Il est en train d’écrire « Mort d’un personnage. »(6)
(…) C’est pendant cette période où nous sommes en tête-à-tête tous les soirs qu’il m’apprendra le plus de choses sur le métier d’écrivain, qu’il m’apprendra l’exigence suprême : tout sacrifier à ce que l’on veut faire et surtout ce à quoi on tient le plus. »

« Sur ces entrefaites un matin de février, le facteur me dépose sur les bras, contre signature, un paquet de trois kilos. Ce sont vingt-cinq exemplaires de « L’Aube insolite » (…)
Le dilemme c’est Giono. Mon premier mouvement m’incite à lui taire cette sortie mais je réfléchis qu’il saura tôt ou tard. Un soir je me décide et je lui apporte timidement le volume. J’ai honte, je suis bien conscient qu’au moment où lui, est interdit de publication, moi j’arrive là avec un livre fraîchement imprimé (…)
Giono feint l’enthousiasme. Il me conseille d’envoyer un exemplaire à son ami Maxime Girieud (7) et à Lucien Jacques (8), le premier ne m’accusera jamais réception et le second m’écrira un mot rapide ainsi conçu et par retour courrier : « Mon vieux Pierre, j’ai bien reçu « L’Aube insolite » et je te suis reconnaissant d’avoir bien voulu me l’envoyer. Il me tarde de faire un plongeon dedans ». Je n’en entendrai jamais plus parler. »
(…) Giono de même, d’ailleurs, tout en me recommandant de l’envoyer à tel ou tel, ne m’encouragea ni me blâma.(…) Les Manosquins rencontrés, (…) Ils sont les amis de Giono, ils ont reçu sa confidence à mon sujet, elle finira par parvenir jusqu’à moi, à l’aide de quelque bonne âme. Il a relevé dans « L’ Aube insolite » nombre d’invraisemblances qui l’ont fait sourire. À part ça, il est toute indulgence. Voilà ce qu’il ne me dira jamais. »
Pierre Magnan – Un monstre sacré

En 1951, Pierre Magnan s’exile à Nice puis en région parisienne et travaille aux entrepôts frigorifiques « STEF », il ne reviendra à Manosque que vingt-cinq ans plus tard.

(…) « Je reverrai Giono deux fois encore. La première c’était en 1961 ou 62. Je lui proposai de l’amener, si cela lui faisait plaisir, faire un tour en voiture, revoir un peu ces pays que peut-être il trouverait pacifiés maintenant que le souvenir était loin. 
– Moi, tu sais, me dit-il, maintenant, je suis devenu un homme de cabinet. (9)
Cette expression (…) me fit mal à entendre dans la bouche de cet homme que j’avais connu le profil coupant le vent, humant le grand air des plateaux qu’il parcourait à grandes enjambées et ayant des certitudes absolues sur les beautés du monde et pensant alors s’y fondre en une dévotion éperdue. »
« Le profil coupant le vent, humant
le grand air des plateaux… »

« Le dernier geste qui eut lieu entre nous, un jour où déjà la souffrance était entrée en lui pour le désenchanter, ce fut de ma part de lui demander :
– Qu’est-ce que vous lisez en ce moment ?
– Ça ! me dit-il.
Et de sa part à lui de me tendre un petit livre d’à peine deux cent pages.
– Lis ça. C’est lumineux !
C’était le livre de Gaston Bouthoul (10) : « Deux cent millions de morts » qui lui était dédicacé. Ce livre je ne lui ai jamais rendu.
Mais Giono était absent de Gaston Bouthoul, de la philosophie de la guerre et du monde réel. Ma présence pour lui était sans importance.
Un jour en 1949, il m’avait dit :
– J’ai vu Gide, mais je n’ai pas pu beaucoup lui parler. Il était déjà occupé par la grande affaire de sa mort. »
Pierre Magnan Pour saluer Giono

« C’était une occupation de ce genre qui isolait Giono la dernière fois où je le vis. » 
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
La bibliothèque du Paraïs
(source – Les promenades de Jean Giono)

« Ici dépose sa canne le Giono promeneur. Il a enfermé dans son œuvre tout un pays irréel qui parle à l’âme plus que s’il n’existait. Il a enfermé des personnages qui continuent à vivre en nous… (…) Pénétrer dans un livre et oublier le monde sera toujours un acte solitaire, un acte individualiste, un acte élitiste. Et ce ne sera jamais partagé par tous, donné à tous. » 
« À plus forte raison pour Giono, mais celui qui ira se promener dans cet univers tout entier inventé – rendu possible et fraternel par le seul pouvoir de l’écriture – en sortira lavé des souillures, armé d’une nouvelle énergie et surtout consolé. Le pouvoir consolateur de l’œuvre de Giono aura fait ses preuves dans ce siècle même. Elle ne le perdra jamais. »
Pierre Magnan – Les promenades de Jean Giono

Je terminerai cet article par un extrait du joli texte qu’a publié, en écho au mien, mon ami André Lombard sur son blog et dont voici le lien : http://sergefiorio.canalblog.com/archives/2016/11/08/33674865.html

« J’aime penser que Giono « savait », en subtil sourcier qu’il était jusqu’aux tréfonds des moelles, que Magnan écrirait tout cela un jour ou l’autre à partir de la chronique « enregistrée » de leur relation. Magnan disant lui-même que sa mémoire est infaillible, Giono, à coup sûr, le sachant et lui faisant dès lors confiance à ce sujet sur tous les plans. Et j’aime penser aussi qu’en se taisant, Giono laissait généreusement à son cadet tout le loisir, la place tout entière, lui cédant en même temps la primeur et l’exclusivité de ce récit. Ce qui est là, peut-être bien, des années à l’avance, un signe de reconnaissance et me rappelle la parole de Giono, en 34, envers Serge descendant du train et posant le pied en gare de Manosque, c’est-à-dire à brûle-pourpoint :  Maintenant tu vas aller plus loin, tu vas faire mon portrait ! C’est différent, mais peut-être semblable : ainsi agissait plus qu’amicalement Giono avec certains jeunes tempéraments, les éclairant à eux-mêmes en poète, de l’intérieur. »
André Lombard – Sergefiorio.canalblog 
Entretien Pierre Magnan – André Poggio en 2007 à Séderon (Photo l’Essaillon)
Voir la retranscription de l’entretien de Pierre Magnan et André Poggio sur le lien L’Essaillon

Michèle Reymes

(1) Thyde Monnier : 1887-1967  Ecrivaine féministe de son vrai nom Mathilde Monnier.
(2) Chantier de la jeunesse : Organisation paramilitaire française de 1940 à 1944 – Lieu de formation et d’encadrement de la jeunesse.française.
(3) L’Aube insolite : Premier roman de Pierre Magnan – publié en 1945 chez Julliard / réédition 1998 chez Denoël.
(4) Comité national des écrivains CNE : Organisme d’obédience communiste camouflée où régnait Louis Aragon qui ne pardonnait pas son génie à Jean Giono.
(5) Contadouriens de la première heure.
(6) Mort d’un personnage : Le plus petit roman de Jean Giono racontant la vieillesse de Pauline de Théus  (L’héroïne du « Hussard »),  largement inspiré de la mère de l’écrivain – 1949 – Grasset.
(7) et (8)Maxime Girieud : Professeur et écrivain, ami de Lucien Jacques. Lucien Jacques : Ami de Giono.
(9) Un homme de cabinet : Homme que sa profession oblige à travailler dans le cabinet – on le dit aussi d’un homme que ses aptitudes rendent surtout utile dans le conseil.
(10) Gaston Bouthoul : De son vrai non Gaston Bouthboul sociologue français – Spécialiste du phénomène de la guerre.

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Jean Giono en Amitié, Pierre Magnan

« Pour saluer Giono »… Épisode 1 (1937-1939)

Pierre Magnan (photo internet)

« Moi : C’est difficile d’écrire.
Lui : C’est incommensurablement plus difficile que tu ne l’imagines… »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Pour Michèle et les deux André(s)… Ils se reconnaîtront …

J’ai beaucoup hésité avant d’écrire cet article, confrontée à toutes sortes de dilemmes obscurs. Tout d’abord en quête d’une photo montrant les deux écrivains ensemble, d’un écrit, quelques mots de la main de Giono pour en quelque sorte  justifier et prouver que cette « amitié » avait un sens… 

Hélas mes recherches ont été vaines et aucun de mes amis gioniens n’a pu répondre à mes requêtes malgré leurs recherches. Alors même si je me trompe sur cette « amitié » – j’ai lu que Jean Giono « n’avait besoin de personne » comme le disait, paraît-il son épouse – je me lance et resterai sur ce que m’a dit  André Lombard (1) : « C’est dans l’absolu qu’il n’avait besoin de personne, pas en réalité. »

Cette analyse me convient parfaitement, si le terme « amitié » est dans le cas présent quelque peu galvaudé et si comme le dit à juste titre André Poggio (2) : « Lorsque en 1937 Giono a 40 ans et Magnan 15 ans tout juste, c’est un élément qui fait penser qu’il est difficile de parler d’amitié – la contrepartie de Giono à l’admiration que lui porte Magnan, c’est une attitude de conseilleur envers un adolescent – mais un jour Pierre Magnan a reçu un choc qui dépasse toute sa volonté de néant : ce choc s’appelle Giono ! » 
Je demeure de mon côté convaincue que, dans une période difficile pour Jean Giono, cette « amitié » a eu le mérite d’exister et je rejoins l’avis d’André Lombard : « Comment désigner ce qui a eu lieu entre le jeune Magnan et Giono ? Amitié convient à mes yeux quelle que soit la différence d’âge, ce n’est pas grave si les avis divergent, au contraire cela peut être fructueux ! »

Un témoignage si attachant…

« Je ne connais guère d’exemples où un écrivain joua un aussi grand rôle dans la vie et dans l’oeuvre de l’autre » 
Gérard Allibert

Pierre Magnan est né à Manosque le 19 septembre 1922.
Il rencontre Jean Giono en 1937, il travaille comme apprenti typographe dans une imprimerie manosquine, il a 15 ans et est alors le plus jeune Contadourien de la bande, c’est en compagnie de son ami Jef Scaniglia qu’il essaie d’obtenir de « Jean Le Bleu » le texte que celui-ci leur a promis en préface du petit journal pacifiste et littéraire « Au devant de la vie » que les deux amis en compagnie de Maurice Chevaly (4) (le troisième larron), s’efforcent de publier à Manosque. 
Source internet

« Au moins d’août 1937, mon ami Jef Scaniglia qui a dix-sept ans, deux de plus que moi, décide de fonder un journal et de l’appeler « Au devant de la vie. » (…) C’est alors que Jef me dit : 
– Il faudrait qu’on aille demander un article à Giono ?
– Tu le connais Giono ?
– Non.
C’est faux, Giono nous le voyons tous les jours déambuler par Manosque, allant à la poste ou s’installant au café-glacier. » 
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Visite au Paraïs

Première rencontre et première visite au Paraïs pour essayer d’obtenir un article : 

« C’était alors une belle porte probablement choisie avec amour (…) Quand elle s’ouvre, il y a une jeune femme brune au beau sourire derrière, c’est Madame Giono. (…)
– Vous voulez voir Jean ? Montez ! Et dans la cage d’escalier, elle appela :
– Jean, tu as du monde ! 
Le monde c’est nous ! (…)
On nous crie d’entrer. Giono est devant nous, il est assis. Il porte une robe de chambre écossaise à dominante verte. C’est la première fois de ma vie que je vois une robe de chambre. (…)
– Alors, vous allez faire un journal ? C’est très épatant ça ! dit Giono. Un journal de jeunes à Manosque ! Ça m’intéresse prodigieusement ! 
Je ne mens pas. Pourquoi mentirais-je à mon âge ? (…) Ces deux termes, très épatant et prodigieux, seront les deux adjectifs préférés de Giono tout le temps qu’il aura la passion de sauver et que sa joie demeurera. »
« – Oui, dit Jef, et ce sera un journal pacifiste. C’est pour ça que nous avons pensé que si vous vouliez bien nous donner un article…
– Mais naturellement, tout ce que vous voudrez ! »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

– « Allez ! dit-il. Je vous invite au Contadour. Vous resterez le temps que vous voudrez. » (…)
– « Habillez-vous chaudement et soyez à la Saunerie samedi vers onze heures, nous partons par la patache de Banon! »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

L’arrivée au Contadour

« Je descends. Je prends le Ventoux en pleine figure. Il est là-bas, à soixante kilomètres d’ici, mais il est seul, on ne voit que lui. (…) Un chemin qui n’est qu’une draille monte là-haut encore pendant cent mètres jusqu’à une tour de pierraille circulaire qu’on me dira être un ancien moulin. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
« Une tour de pierraille circulaire
qu’on me dira être un ancien moulin. »

« Je dépasse la maison et alors je vois l’arbre. L’arbre, le seul (…) C’est un hêtre local qu’ils appellent « fayard ». (…) Pour en trouver de semblables, très rares, il faut monter haut dans les Fraches, où il y en a trois pour rappeler la forêt de jadis. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono
Le Fayard sur le plateau des Fraches (celui du film le Hussard sur le toit)

« Jean, dit Lucien, va vous lire un chapitre de « Batailles dans la montagne » qui vient de paraître.
(…) Pour la première fois, j’entends un livre que j’ai envie de lire. Je m’apprivoise à la respiration créatrice de Giono.
(…) Est-ce que je suis comblé ? Non. Une sourde inquiétude me point à travers mon ébahissement.
C’est que je viens de prendre conscience que le monde qui ici encercle Giono est un monde d’intellectuels… »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

« (…) C’est aussi une sourde inquiétude, parce que, au Contadour, quand Giono, Lucien ou Fluchère (5) ne nous font pas la lecture, la grosse question est de savoir ce que l’on fera en cas de guerre.
(…) J’ai dès l’abord l’impression que Giono n’est pas maître du jeu, que ceux qui le cernent de leur sollicitude, plutôt qu’ils ne l’entourent, essaient de canaliser son horreur de la guerre vers une idéologie qui préalablement les habite. »

« Quand je descends du Contadour au début septembre 1937, pour moi les dimensions du monde connu ont décuplé.
(…) Je retrouve le cinéma où je verrai tant de navets ainsi d’ailleurs que Giono qui les avale aussi.
(…) C’est pour la première fois à la fin d’une matinée que je prends sur moi de l’accompagner jusque chez lui. Je me souviens, c’est l’automne et c’est la nuit. Sauf « Batailles dans la montagne » dont il a fait la lecture au Contadour et sauf « Accompagnés de la flûte » dit par Lucien Jacques (6), je n’ai toujours rien lu de lui. Je lui demande timidement :
– Vous ne pourriez pas me prêter quelques livres ?
– Mais naturellement, mon vieux Pierre ! »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono


« Je marche à côté de Giono. Le roi n’est pas mon cousin »

(Source Patrimoine manosquin)

« Ce parcours depuis le boulevard de la plaine jusqu’à la maison de Giono que je fais ce soir d’automne pour la première fois en sa compagnie, c’est peut-être le chemin de ma vie qui sera le plus chargé de signification. Tout mon destin s’y inscrit en filigrane, y prend forme, ma personnalité, jusque-là inexistante, commence à vivoter doucement. Je marche à côté de Giono. Le roi n’est pas mon cousin. »

« Pendant cette année-là et les suivantes, Giono me prêta chaque semaine cinq ou six livres. (…)
– Tiens ! Voilà le dernier du père Gide ! Régale-t’en ! Et surtout coupe bien les pages avec un coupe-papier ! Attends ! je vais t’en donner un parce que tu n’en as probablement pas ! Toute sa vie, Giono aura la religion du volume soigneusement conservé. »

« Parfois, au lieu de me lire « le poids du ciel », il allait chercher son Gramophone sous la table de nuit de la chambre obscure, à côté du bureau où il l’entreposait.
– Attends ! me disait-il. On va se faire un peu de musique. (…)
Il m’installait dans le fauteuil. Il remontait avec précaution le ressort du vieux Gramophone fatigué qui avait tant servi. Il bourrait sa pipe.
– Tu vas voir ! On va être comme des papes tous les deux ! » (…)

« Je descendais vers sept heures et demie de chez Giono d’où m’avait chassé le :
– Jean ! A la soupe ! »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Le drame de la déclaration de guerre 

« L’accentuation pacifiste du mouvement contadourien se précisait de plus en plus. Giono à chaque instant prenait des positions de plus en plus aventurées.
Mais le leitmotiv de tous les contadouriens c’est qu’il n’y aura pas la guerre. (…)
Je sais, comme mon père sait, comme les quatre mille habitants de Manosque savent, que la guerre est là, qu’elle arrive, qu’elle est inévitable. (…)
Je le sens fragile, vulnérable, mal embarqué. Je tremble pour lui. »
Pierre Magnan Pour saluer Giono

En ces journées du 1er au 6 septembre 1939, Jean Giono ayant proclamé depuis plusieurs années son intention de ne pas obéir à l’ordre de mobilisation, finit pourtant par s’y résigner et rejoint son affectation à Digne où il occupe, sous l’uniforme, le poste de secrétaire au bureau de recrutement . (Source – entretiens Jean Amrouche- Jean Giono).

« On a interprété des positions qu’on ne connaissait même pas ! On a interprété une légende sur ces positions. On a donné à mes gestes des mesures qu’ils n’avaient pas du tout ! (…) Je me suis conduit de façon à être en accord avec moi-même. (…) Les gens qui se trouvaient avec moi, eux, se croyaient engagés par la pensée à laquelle ils avaient souscrit. (…) Ils me disaient : « Voyons, Jean, tu sais, ma mère, ma femme, les conditions sociales, je vais être obligé de faire quelque chose qui n’est pas en accord avec ce que jusqu’à présent j’ai promis avec enthousiasme ». Chaque fois je leur répondais ceci : « Les martyrs ne servent absolument à rien ! Je t’engage à faire exactement ce que tu as envie de faire. Le bonheur est valable pour toi tout seul. (…) Moi-même, je ne suis pas certain leur ai-je dit, de faire très exactement ce que j’avais promis de faire. »
Entretiens Jean Amrouche- Jean Giono

« Le 6 septembre au soir il pleuvait. Il pleut toujours sur Manosque lors des grandes catastrophes nationales. »
Pierre Magnan Pour saluer Giono
La caserne Desmichels à Digne (Source Delcampe)

« – Tu sais où est Giono ?
– Non.
– Il est à la caserne Desmichels ! 
Je fus à l’instant inondé d’une joie éclatante. La caserne Desmichels, c’était le centre de mobilisation à Digne. Si Giono y était, c’est qu’il avait accepté d’obéir. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

(…) Le 7 septembre, (…)  je vois apparaître Lucien Jacques qui m’appelle : 
– Tu sais naturellement où se trouve Jean ? me dit-il.
– Oui, Jef me l’a dit.
– Qu’est-ce que tu veux… Il y a a sa femme, ses filles, sa mère. Que pouvait-il faire ?
– Rien d’autre que ce qu’il a fait. (…)
– Je fais face autant que possible. J’essaye de faire comprendre aux camarades qu’il ne pouvait pas agir autrement. Mais c’est difficile. Il a tellement dit, il a tellement écrit…
– Il n’a jamais conseillé à personne de déserter.
– Non, mais les camarades ne comprennent pas ça comme ça. Pour eux, Giono les a trahis.
– Moi je comprends. Il ne pouvait pas agir autrement. Il faut qu’il se garde vivant pour ses livres. Il en a encore à écrire. Y a que ça qui compte.
Alors Lucien a eu un pâle sourire, il m’a tendu la main et il m’a dit :
– Moi c’est aussi comme ça que je le comprends. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Suite à la diffusion d’un tract pacifiste « Paix immédiate », portant son nom et des extraits de ses livres, Giono sera incarcéré en 1939 au fort Saint Nicolas à Marseille et sera libéré début novembre de la même année après un non-lieu. Il est alors démobilisé et  définitivement libéré de ses obligations militaires.

Le fort Saint-Nicolas à l’entrée du vieux port de Marseille
(source internet)

Voici ce qu’explique Louis Lecoin (7) à propos de ce tract : « Au Contadour, on m’a appris que Giono avait été arrêté, ses proches m’ont déclaré « S’il était là, vous savez qu’il signerait » alors j’ai ajouté son nom. » Quand le juge a montré le tract à Giono, celui-ci a dit :  » Non je n’ai pas signé » et il s’est empressé d’ajouter : « Si on me l’avait présenté, je l’aurais signé ».
Source Rencontres Giono 2014 – Giono revient de guerre

« C’est à partir de cette détention et de cette libération que Giono va enfin donner libre cours au torrent qui en même temps l’habite et l’emporte. »
(…) J’affectionnais les séances de cinéma du dimanche après-midi qui me permettaient de remonter à la maison avec Giono à côté de moi. (…) Il ouvrait lui-même la porte, je gravissais l’escalier sur ses talons. Tout allait bien. Et pourtant, ce fut au cours de l’une de ces tranquilles promenades que je reçus au creux de l’estomac le coup fatal qui allait me faire vaciller toute ma vie. 
(…) Soudain, Giono ôta sa pipe de la bouche et il me dit à brûle-pourpoint :
– Tu m’avais pas dit, salaud  ! que tu écrivais ! (…)
– Allez allez ! ajouta-t-il. Demain tu me montes ça et tu me le lis !
Le lendemain, la mort dans l’âme, je remontai donc chez Giono avec mes papiers. » (…)
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

« Il y avait aussi, dans ce fatras, l’histoire d’un homme qui s’appelait Isaïe Ramonce. En l’entendant, Giono ôta sa pipe de la bouche, son œil s’alluma et il me dit :
– Oh mais dis ! C’est un beau nom ça ! (…)
Eh bien tu vois, tu m’écris encore cinq ou six histoires comme ça et ça fait un volume.
Je lui rétorquai en soupirant :
– C’est difficile d’écrire.
Alors je le vois encore, il s’est tourné un peu vers la fenêtre, il a tiré une bouffée de sa pipe qu’il a retirée de sa bouche avec un mince sourire et il m’a dit :
– C’est incommensurablement plus difficile que tu ne le crois.
J’ai tout misé sur cette phrase. Je l’ai prise comme un défi ou comme une gifle. Je souffre encore de cette cuisance. Elle me fustige encore. »

« C’est incommensurablement plus difficile que tu ne le crois. »
« Je lègue cette sentence à tous ceux qui veulent écrire et ne pas tomber dans les oubliettes dès le second livre ; à tous ceux qui veulent écrire et ne pas se retrouver dans le panier à tout lire des brocanteurs et des bouquinistes. »
Pierre Magnan – Pour saluer Giono

Rendez-vous pour l’épisode 2, 1939-1970…!

Michèle Reymes

Merci à mes amis(es) :

Michèle Ducheny(3), André Lombard et André Poggio pour leur aide précieuse de tous les instants et merci de leurs conseils et de leur patience !! c’est inestimable pour moi…!


(1) André Lombard : Auteur, ami du peintre Serge Fiorio (dont Giono était le cousin) voir le blog d’André sur Serge Fiorio.
(2) André Poggio : Trésorier de l’association des amis de Jean Giono – Auteur.
(3) Michèle Ducheny : Membre du conseil d’administration de l’association des amis de Jean Giono et re-lectrice – auteure de Giono et les peintres.
(4) Maurice Chevaly : Écrivain manosquin, poète , auteur de ‘Giono vivant’, ‘Giono à Manosque’, ‘Le grand livre de la Provence’ (Tomes I,II, III et IV).
(5) Henri Fluchère : Critique littéraire, homme politique et traducteur, il fut maire de Sainte-Tulle (Alpes-de-Haute-Provence) Le théâtre municipal porte son nom, il est fondateur avec Aline Giono de l’association des amis de Jean Giono.
(6) Lucien Jacques : Grand ami de Jean Giono, poète, éditeur, peintre, dessinateur, graveur et danseur.
(7) Louis Lecoin : Pacifiste et anarchiste, syndicaliste révolutionnaire, défenseur de l’objection de conscience. Grand ami de Bernard Clavel.