Publié le Laisser un commentaire

Avec Jean Giono à Marseille – Jour 1/2

« la ville est ample et généreuse (dans ses formes et sa lumière), elle a la beauté nacrée et le bourdonnement des coquillages vides. » 
Jean Giono – Provence

Je savais en partant à Marseille exactement ce que je cherchais… Mais allais-je trouver mon bonheur ? Dans cette ville en perpétuelle mutation où comme ailleurs sans doute, on n’a pas toujours pris soin de préserver le bâti ? N’allais-je pas être déçue, irritée, désemparée de ne trouver traces de tous ces lieux précisément décrits par l’auteur dans Noé entre autres. Et puis il y avait cette petite note lue avant le départ sur les plans de Marseille et ses environs (page 1 509 – La Pléiade tome III ) qui trottait dans ma tête et qui disait : « Les indications que nous n’avons pu repérer dans aucun guide ou plan, soit que nous n’ayons pas su les y trouver, soit que Giono, comme on en a la preuve pour certaines, les ait purement et simplement inventées ». Ceci étant dit je gardais bon espoir et je suis tout de même récompensée avec la découverte de la « Campagne Flotte », le domicile de Gaston Pelous (1) rue Yves Lariven, et autres lieux reconnaissables.

« Je pris la micheline de sept heures du matin. Je ne suis pas obligé de passer dans la ville pour aller à la gare. Je descends de la colline où ma maison est bâtie, (…) cette descente de la colline est déjà un très beau petit voyage.  »
Jean Giono – Noé

« Quand je suis dans le train, c’est un peu de Manosque que j’emporte avec moi. On me connaît et l’on me reconnaît, on me salue par mon nom – Ce, bonjour Monsieur Giono, où allez-vous comme ça ? (…) Dès que je descends le grand escalier de la gare Saint-Charles, je ne suis plus que la millionième partie anonyme du monstre. »
Maurice Chevaly – Notes personnelles dans Giono à Manosque 

« Pour les gens de Manosque, Marseille est une sorte de Moscou. Je veux dire une ville de rêve. Ils conjuguent pendant toute leur vie le verbe « aller à Marseille », à tous les temps et à toutes les personnes. »
Jean Giono – Noé

Aujourd’hui Jean Giono se rend chez son ami Gaston Pelous (1) qui habite Marseille tout en haut du boulevard Baille, dans une petite rue donnant sur la rue Sainte-Cécile ; plus exactement au 7 rue Mouren, devenue maintenant rue Yves Lariven. Depuis le boulevard Baille on y accède par la rue Nègre.

Jean et Gaston Pelous

« Je vais chez Gaston P., à l’extrémité du boulevard Baille. (…) Où se trouve le logement de mon ami Gaston P. qui m’a accueilli si souvent et me recueille encore si souvent que je prends sans effort sa maison pour la mienne. »
Jean Giono – Noé

« Et d’abord, en sortant de la gare, il me faut prendre un trolleybus qui me mène à la place Castellane. Mais ce matin j’aime mieux ne pas attendre le tramway. Le boulevard Baille, dans cette lumière, est charmant ».
Jean Giono – Noé
Plan du quartier


Au domicile de Gaston Pelous, au numéro 7 rue Mouren (auj. rue Yves Lariven)

« Le personnage d’Angelo est né à Marseille, sur le trottoir devant les « filles repenties ». J’habitais à cette époque, pour quelques mois, à l’extrémité du boulevard Baille, dans ce qui est actuellement la rue Yves Lariven, chez mes amis Pelous. J’occupais la chambre de la Mémé. Cette chambre donnait sur le préau d’une école maternelle ».
Jean Giono – Préface d’Angelo, Edition La Pléiade, tome IV, page 1 191

Le domaine Flotte et la rencontre avec Angelo

Plan du domaine Flotte, Prado

« Finalement, j’abandonnai la rue de la Turbine, (…) quand à ma droite, je vis une rue intitulée : avenue Flotte, elle commençait comme une rue, mais on voyait qu’à cent mètres de là elle était dans un mystère d’ombre et qu’elle continuait au-delà. (…) C’est dans le serpentement de ses allées désertes, (…) que j’ai rencontré le romantisme des temps disparus.(…) C’est là que je rencontrai pour la première fois ce personnage qui était comme un épi d’or sur un cheval noir. Il semblait être le fantôme des choses ».
Jean Giono – Noé

« Certains quartiers  de la ville comme (…) la rue de la Turbine, l’avenue du domaine Flotte, ont gardé beaucoup de charme. Certaines maisons à allure de petits couvents, (…) possèdent encore de romantiques jardins. Il suffit là d’un arbre, d’un lierre, d’une glycine. »
Jean Giono – Provence
L’entrée du domaine Flotte

Quelle ne fut ma surprise en arrivant avenue Ferdinand Flotte de trouver cette rue fermée par un immense portail (sécurisé), m’empêchant alors d’explorer ce lieu aux « allures romantiques » ! Et retrouver à mon tour Angelo, mon Hussard, car il faut le dire, c’est avant tout pour cela que j’étais venue ! Contrariée de ne pouvoir accéder à ce domaine j’ai la chance alors de rencontrer un résident de ce « petit paradis », lui-même féru de littérature à qui j’ai rapidement exposé le but de ma visite. Intéressé par ma démarche il nous invite à entrer.

N’écoutant que ma curiosité mais soucieuse de rester discrète, je pousse légèrement le petit portail et là, en effet un paradis s’offre à moi… Avec de coquets petits domaines, tous bien entretenus, une allée qui serpente dans la colline, quelques vestiges du temps passé, quelques photos plus tard nous quittons le lieu enthousiastes et émerveillés. Mille mercis encore à ce Monsieur. Il ne pouvait me faire plus plaisir.

Comme il me fallait, avant de quitter ce lieu, imaginer cette rencontre et la conserver à tout prix dans un coin de ma mémoire… Ce vendredi matin de mai, dans cet instant illusoire et dénué de toute réalité, il a surgi devant moi, Angelo (2), le Hussard, instant magique, le long de ce mur ocre de la campagne Flotte, tel « Un épi d’or sur un cheval noir » !

« Tel un épi d’Or sur un cheval noir… »

Le mur de Notre-Dame de Charité, le refuge des repenties, la rue des vertus,  deuxième rencontre avec Angelo

Je n’ai hélas pas trouvé trace de Notre-Dame de Charité, ni du couvent du refuge, ni des repenties… Au 145 du Boulevard Baille se dresse un immense parking à étages et dans la rue des Vertus un immeuble neuf et sans âme. Mais une friche jouxtant cet immeuble peut faire penser à une démolition récente… Contrariée de ce contre-temps, je n’ai cette fois aucunement cherché à rencontrer moi-même Angelo ! De toute façon, aujourd’hui dans le vacarme et l’agitation de la circulation intense que serait-il venu faire ?? 

A l’angle de la rue des vertus et du boulevard Baille, on voit clairement le couvent du refuge
mais il n’existe plus en 2018 (source Lexilogos)

« C’est le long de ce mur qu’un soir j’ai rencontré un personnage qui devait tenir une grande place dans ma vie. A dire vrai, j’en avais déjà fait une première rencontre dans le courant de la journée, dans un endroit très extraordinaire de Marseille, et peu connu, qui s’appelle l’avenue Flotte. (…) (Il va falloir que je décrive cette avenue Flotte, sinon, on va s’imaginer que c’est une avenue comme il y en a tant ; pas du tout…) Mais il n’avait fait que me frôler comme une fumée. A peine avais-je eu le temps d’apercevoir les arabesques et les trèfles de galons (…) et le casque d’or emplumé de faisanerie sous lequel était un très pur et très grave visage. (…) Nous passons le long du boulevard devant l’endroit où, un soir, celui qui ressemble à un épi d’or sur un cheval noir m’est apparu pour la deuxième fois ; où j’ai su qu’il s’appelait Angelo ; qu’il était colonel des hussards du roi de Sardaigne ». 
Jean Giono – Noé

« En arrivant à la maison, comme tous les soirs, Nini et Gaston m’attendaient avec leur bon sourire. Je dis :
– Nini, je viens de rencontrer un type épatant.
– Nous le connaissons ? dit-elle.
– Pas encore, dis-je, mais vous le connaîtrez sans aucun doute.
– Vous trouvez toujours des types épatants, Jean, dit-elle ; je ne sais pas comment vous faites.
– Je n’en sais rien non plus, lui dis-je. En tout cas, cette fois, il n’y a pas à s’y tromper. C’est un cavalier qui semblait un épi d’or sur un cheval noir. A mieux regarder, j’ai reconnu que c’était un officier des hussards du roi de Sardaigne en grand uniforme.
– Où l’avez-vous rencontré ? dit-elle.
– Là, sur le boulevard, le long du mur des repenties.
– Est-ce que c’est vrai ? dit-elle.
– Bien sûr,  dit Gaston.
– C’est tellement vrai, lui dis-je, que c’est peut-être même la seule chose vraie de tout Marseille, ce soir. »
Jean Giono – Noé

Le quartier de « La Plaine », la place et ‘Le tour du monde’… »

La place Jean Jaurès

Au dessus du cours Julien, se trouve cette vaste place bordée d’une double rangée d’arbres qui en fait un endroit plaisant, calme et très ombragé. Le bassin d’attraction décrit par Jean Giono n’existe plus hélas… Mais on y trouve tout de même un beau jardin d’enfants équipé de toutes sortes de manèges. Cet espace de verdure est un havre de paix au coeur de la ville et abrite certains jours de semaine un grand marché. 

« C’est une vaste place encadrée de chaque côté par deux allées d’arbres. Au printemps il y a ici dessus une foire. Du temps de ma jeunesse, il y avait au centre de cette place un bassin dans lequel évoluait un bateau à rames à forme de petit paquebot et pouvant contenir une dizaine d’enfants. Un feignant costumé en matelot faisait faire pour deux sous trois fois le tour du bassin, lentement, avec de longues pauses. Cela s’appelait le tour du monde. »
Jean Giono – Noé

« Viens Jean, je vais te payer le tour du monde »

« Chaque fois que je descendais à Marseille avec mon père, il me payait ça. Je montais dans la barque et j’étais navré de le quitter car il restait à terre. Il restait à terre et il faisait lentement tout le tour du bassin en même temps que moi car il était navré de me quitter. Mais, dès que nous arrivions à Marseille, lui et moi (j’avais cinq ans), il me disait : Viens, Jean, je vais te payer le tour du monde. » Il n’y a plus de bassin… »
Jean Giono – Noé

Le quartier du Panier, La vieille-Charité, L’Hôtel-Dieu et La Major

Le Panier, véritable esprit de Marseille et ses ruelles escarpées, respire de toutes ses diversités. Ses hautes maisons colorées et fleuries, de délicieuses petites placettes ombragées où il fait bon s’installer en terrasse, ses merveilles d’architecture avec la Vieille-Charité ou encore l’Hôtel-Dieu. Ces deux grandes bâtisses, l’une, la Vieille-Charité, à vocation culturelle est l’œuvre de l’architecte Pierre Puget et l’autre un ancien hôpital du XVIIe transformé aujourd’hui en hôtel de luxe.

« Un des plus beaux monuments de Marseille est la Vieille-Charité. C’est une construction à la Piranèse. Il faut la chercher dans un lacis de ruelles à « navigateurs » sur les collines qui dominent le port à droite en regardant la mer. »
Jean Giono – Provence
L’Hôtel-Dieu

« Les rues, ou plus exactement les ruelles, de ces quartiers sont encore sensibles et émues du pas du promeneur. »
Jean Giono – Provence
Petite place ombragée devant la Vieille Charité

« Mille lessives italiennes pendues aux fenêtre de la rue du Panier… » 
Jean Giono – Provence

L’abbaye Saint-Victor

L’Abbaye Saint-Victor

« Elle a des créneaux, des tours de guet, des courtines et vaguement de la contrescarpe dissimulée à ras de terre tout autour d’elle, comme un tirailleur aplati qui guette. »
Jean Giono – Description de Marseille dans Chute de Constantinople
Plan ND, vieux Port, Vieille Charité

Cette première journée riche en découvertes se termine, à présent c’est l’heure où la ville revêt ses habits flamboyants et où le vieux port resplendit des mille lumières et couleurs du soir.

« C’est l’heure où, sur le vieux port, après avoir touché les lucarnes du fort Saint-Nicolas, les rayons du soleil viennent frapper en plein la véranda du Cintra et les chambres de l’hôtel Beauvau. Les lueurs du couchant remontent la Canebière. »
Jean Giono – Provence
Le bar le Cintra et l’Hôtel Beauvau (photo La Provence)

Le bar « Le Cintra » a été remplacé par « L’OM Café ». Toutefois, à ma connaissance il existe encore  et se trouve maintenant à l’entre-sol dans l’enceinte de l’hôtel Beauvau.

« Dans chaque maison des villes et des villages et dans chaque ferme, il y a chaque soir, au-dessus du lit, dès que la lampe est éteinte, une sorte de brouillard dans lequel apparaît une ville d’or semblable à une énorme couronne de roi, semblable à une vaste couronne d’élu : c’est Marseille. »
Jean Giono – Noé

Rendez-vous pour les autres découvertes du jour 2 !!

(1) Gaston Pelous  : Jean Giono le rencontre en 1935 à Lalley dans le Trièves où la santé de son fils Guy a incité ses parents à venir passer leurs vacances. Jean Giono et Gaston Pelous se lient d’amitié, à toute épreuve, affectueuse, attentive et confiante. Ils se voient régulièrement dans le Trièves, au Contadour et à Marseille où Gaston est fonctionnaire des renseignements généraux. (Source Association des amis de Jean Giono – Manosque).

(2) Angelo le héros du « Hussard sur le toit » livre de Jean Giono et film de Jean-Paul Rappeneau

Michèle Reymes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *